« Quand je regarde l’œuvre Interrupted Connection de 2020 et que je la compare avec les événements qui se produisent aujourd’hui, je comprends à quel point la vie était facile et insouciante avant la guerre. » (Eva Alvor.)
Influence et parcours
Aussi loin qu’elle se souvienne, Eva a toujours dessiné. Lorsqu’elle était toute petite, elle transformait n’importe quel espace vide en illustration, que ce soit une feuille de papier ou une page vide d’un livre. Pour elle, il s’agissait de créer son propre monde dans lequel elle pouvait vivre, en un mot : être, sans avoir à respirer l’odeur de poudre que portait, depuis un certain temps, un vent venu de l’Est.
C’était aussi l’occasion pour elle de matérialiser son imaginaire en quelque chose de tangible : tableau ou simple esquisse. Afin de continuer sur son chemin artistique, Eva a ensuite intégré une école d’art où il était possible de maîtriser les bases de la peinture, ce qui semblait assez ennuyeux à l’artiste, car le programme était inspiré du réalisme socialiste soviétique et, donc, assez restreignant pour Eva qui aspirait à innover. À l’Université nationale Khmelnitski, l’une des spécialités d’un des départements était le design, ce qui, pour elle, offrait un champ d’expérimentation plus large.
Elle se souvient de cette période comme de merveilleuses journées créatives, où elle pouvait peindre en studio toute la nuit, fumer par la fenêtre, passer du temps avec des amis ; elle se sentait en harmonie avec le monde.
Eva a été très fortement influencée par sa sœur, qui a vécu en Europe de l’Ouest et a été la première à lui faire découvrir l’univers de l’art moderne ; elle a compris qu’il existait d’autres communautés de créateurs aux techniques variées et Eva s’est empressée de les étudier. Sa sœur a commencé à présenter à Eva les dernières nouveautés en matière d’art contemporain, en lui envoyant des articles intéressants sur les artistes et leur style, ainsi que des conférences sur l’art. C’était un monde incroyablement intéressant et passionnant où il n’y avait pas de limites. Cet espace de liberté a montré à Eva qu’il existait des procédés et chemins différents de ceux tracés par l’école d’art et l’université de Khmelnitski.
La beauté non évidente
C’est à cette période qu’elle découvre le concept de beauté non évidente et souhaite l’approfondir, ce qui deviendra un autre sujet pour ses peintures, comme l’œuvre Red de 2021, qui représente un feu de circulation lorsqu’il devient rouge. L’œuvre est magnétique et mystérieuse et joue avec les nuances de couleur d’un feu tricolore dont le rouge revêt plusieurs significations, en fonction de l’observateur.
La beauté non évidente réside dans l’intrigue de l’objet qui est peint, le mystère du choix des tons de couleurs et de leur agencement. Expérimentant les matériaux, l’artiste s’est aussi essayée au collage. Le premier est né dans la cuisine de l’appartement où elle logeait avec sa mère. Elle a commencé à découper divers objets dans de vieux magazines et à les coller au mur : de cette manière, quelque chose de nouveau renaissait du simple quotidien relaté dans les journaux. Les gens qui venaient lui rendre visite s’arrêtaient et regardaient longuement les œuvres en s’interrogeant sur leur signification.
Il est également important de préciser que la majeure partie du travail d’Eva est occupée par le thème des arbres, comme souvenir d’enfance, sorte de madeleine de Proust, qui correspond à la période précédant l’invasion russe. Malgré cet événement qui a chamboulé l’Europe, Eva a choisi de rester en Ukraine. Quand elle et sa sœur étaient petites, elles vivaient dans une maison privée du village avec leur grand-mère : « Nous avions des arbres sur notre propriété. Mon préféré était un noyer et celui de ma sœur était un pommier. J’adorais toucher les fruits verts non mûrs et respirer leurs arômes. » Maintenant, Eva vit dans un immeuble de grande hauteur à Zaporijia, ses enfants adorent jouer sur le terrain qui se trouve en face, grimper aux arbres pour s’asseoir entre les branches.
Mais, lorsque la sirène d’alarme sonne, l’insouciance qui galvanisait son esprit créatif d’avant-guerre se télescope dans la vision de ses enfants qui, malgré les drones et missiles, gardent leurs yeux innocents et purs en direction d’un futur apaisé, d’un retour à une certaine forme de calme et de sérénité.