Voici un entretien issu d’un contact en commun que Delphine[1] et moi avons à Odessa. Elle a sollicité notre revue afin de repartager son récit de voyage en Ukraine, en compagnie de sa fille. Celui-ci avait déjà fait l’objet d’une publication par le journal Le Courrier de l’Ouest[2] au mois de mai dernier.
« On vit la guerre avec eux » : Delphine et sa fille Mélissa racontent leur voyage en Ukraine
Du 14 au 26 avril 2024, Delphine Antier et sa fille Mélissa ont quitté La Pommeraye (Maine-et- Loire) direction Lviv, pour apporter leur soutien au peuple ukrainien.
Lviv, Ukraine, avril 2024. Durant leur voyage, Delphine Antier et sa fille Mélissa ont visité quelques monuments en parallèle de leurs actions de volontariat. | FAMILLE ANTIER
Le Courrier de l’Ouest
Chez la famille Antier, la télévision est branchée sur une chaîne d’informations en continu. Les dernières actualités sur l’Ukraine tournent en boucle. Delphine envoie régulièrement des messages à ses amis, Olesya et Rostislav, qu’elle avait accueillis chez elle en 2022. On est impliqués maintenant, on suit l’évolution. Un cadre rempli de cartes postales provenant du pays en guerre domine le salon. La couleur bleue et jaune se repère aux quatre coins de la pièce.
Derrière son smartphone. Autour de son poignet. Sur son sac à main. Plusieurs semaines viennent de passer depuis son voyage avec sa fille Mélissa en terre ukrainienne. Mais rien n’y fait : son cœur est resté là-bas. Ils sont un peu notre deuxième famille. On vit la guerre avec eux.
Au plus près des réfugiés
Les deux habitantes de La Pommeraye (Maine-et-Loire) ont encore un peu de mal à réaliser ce qu’il vient de se passer. Et pourtant, du 14 au 26 avril, elles sont bel et bien montées dans un bus et ont tracé la route jusqu’à Lviv. On cherchait à être au plus près des réfugiés, explique Delphine Antier. Rien n’aurait été possible si ce flyer de l’association Mriya Ukraine, basée à Grenoble, n’était pas tombé entre leurs mains. Les deux femmes, déjà impliquées en tant que bénévoles dans l’association Ukr’ngo, se sont tout de suite positionnées pour partir 15 jours aux portes de l’Europe. Quatre jours de trajet, deux fois 35 heures de bus. On leur a bien dit : Vous êtes folles d’aller là-bas, tu n’as pas peur ? En guise de réponse, elle a foncé avec sa fille jusqu’à Lyon, en laissant mari et fils à la maison. On avait obligation d’apporter une trousse de premier secours, un peu de nourriture, de quoi tenir quelque temps au cas où…
À l’aller, leur bus effectue de nombreux arrêts pour récupérer des colis. En s’approchant de la frontière polonaise, elles commencent à doubler des camions militaires. On était très excitées mais on avait un peu d’appréhension. On savait qu’on partait dans un pays en guerre et qu’on allait voir des choses difficiles, témoigne la maman. Le lendemain de leur arrivée, un cortège de soldats décédés au front défile devant leurs yeux. On a vu passer les voitures de police, les corbillards et les bus. Là, tout s’arrête. Les gens se mettent à genoux, prient, il y a un respect incroyable. Leur périple ne fait que commencer.
Mélissa Antier en pleine préparation d’un filet de camouflage pour les chars ukrainiens. | DELPHINE ANTIERVoir en pl ein écr an
« Les Ukrainiens n’ont rien et ils donnent tout »
Durant dix jours, Mélissa et Delphine épluchent des légumes pour les soldats sur le front, fabriquent des filets de camouflage pour les chars… On est très loin du séjour touristique. Le rythme était très soutenu, confie l’adolescente de 16 ans, qui a encore des ampoules sous les pieds. Les deux femmes se rendent dans un hôpital accueillant des soldats qui ont besoin d’être amputés. Elles passent par un refuge où des animaux ont été abandonnés. Delphine a laissé sur le fond d’écran de son smartphone un de ces pensionnaires en convalescence.
Autant de moments qui sont gravés à jamais dans leur mémoire. Cette expérience m’a apporté beaucoup sur le plan humain. Les Ukrainiens n’ont rien et ils donnent tout, livre Mélissa. Ce qui nous a marquées le plus, c’est de voir un peuple qui continue à vivre malgré le contexte, raconte sa mère.
Lviv, Ukraine, avril 2024. Les deux femmes souhaitent revenir en Ukraine dès que l’occasion se représentera. | FAMILLE ANTIERVoir en pl ein écr an
« On ne savait pas où ça allait tomber »
Elles se souviendront de ces familles émues aux larmes en train de se recueillir dans un cimetière, de leurs retrouvailles émouvantes avec leur amie Olesya, de ce témoignage bouleversant d’un soldat emprisonné durant 9 mois. Il a été torturé par les Russes. Il a perdu 40 kg durant sa captivité. Elles n’oublieront jamais l’intervention du journaliste de Communities Army Of Ukraine qui lutte contre la propagande et la désinformation russe. Surtout, elles revivront encore et encore cette nuit où elles ont dû se mettre à l’abri dans le sous-sol de leur hôtel. L’hôtelier nous a dit où aller, sans paniquer. On a attendu 1 h 30 jusqu’à ce que l’alerte soit écartée. On ne savait pas où ça allait tomber. Les Ukrainiens possèdent une application mobile qui suit en temps réel les alertes. Delphine et sa fille ne l’ont toujours pas désinstallée. Sur le chemin du retour, une explosion a eu lieu dans la région qu’elles venaient de quitter. Pas de quoi les freiner dans leur projet de revenir prochainement. Au contraire, elles sont bien décidées à soutenir davantage le peuple ukrainien.
À savoir
Depuis le début de l’invasion russe, l’association Ukr’ngo a déjà envoyé 23 semi-remorques comprenant du matériel médical, des meubles, des vêtements, etc. Un 24e convoi est actuellement en préparation et devrait partir prochainement.