Alain Bosquet, né le 28 mars 1919 à Odessa, voit ses parents, originaires d’Alsace et de Belgique, s’installer au XIXe siècle au bord de la mer Noire pour aider à la construction des chemins de fer. C’est peut-être de son père qu’il tire sa passion pour la poésie. Ce dernier n’hésitait pas à faire jongler les mots lorsqu’il en avait l’occasion. Traducteur de nombreux auteurs, il fut le premier à s’y essayer pour Rainer Maria Rilke[1] en russe. Sa mère, quant à elle, donnait des leçons de violon.
Le jeune Alain grandit donc entre les airs de Stravinsky ou de Vivaldi que joue sa mère et la magie des mots qui entoure le bureau de son père. Sans doute que l’alchimie des deux a aidé à façonner ce matériau brut qu’est Alain Bosquet, et que l’existence prendra soin de modeler, lui donnant ainsi le profil de ses voyages et les traits de ses engagements.
C’est à Bruxelles en 1938, alors que sa famille vient de s’y installer, qu’il aura un premier contact sérieux avec l’écriture en fondant une revue de six numéros seulement, mais qui lui permettra d’être remarqué par un petit milieu littéraire.
L’Histoire viendra toquer à sa porte lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate. Il s’engage alors dans l’armée belge et participe à leur courte campagne. Son destin change à partir de cette période, tandis que ses écrits ne cessent de gagner en notoriété ; jouant habilement avec les attentes des lecteurs, il renouvelle sans cesse son style, ce qui fera sa marque. Tantôt symboliste, tantôt surréaliste, il rencontrera André Breton à son arrivée à New York en 1942, avec les alliés.
Comme dit précédemment, le père d’Alain Bosquet a été le premier traducteur russe de Rainer Maria Rilke. Peut-on voir là un simple hasard ou une filiation, un télescopage des goûts, lorsqu’Alain Bosquet traduit, cette fois du russe au français, un poème de Jules Supervielle[2] paru dans son recueil Oloron-Sainte-Marie, lui-même dédié à la mémoire de Rainer Maria Rilke ?
« Comme du temps de mes pères les Pyrénées écoutent aux portes,
Et je me sens surveillé par leurs rugueuses cohortes. »
Ce poème semble être un courrier de l’avenir, comme pour le préparer à ces années où il s’occupera des liaisons alliées après 1945. Que ce soit dans l’écriture ou dans les différentes causes qu’il a défendues, il semble que son engagement l’ait toujours guidé vers le juste choix, là où certaines périodes auraient pu l’inviter à prendre des décisions par convenance.
L’engagement avec les alliées après la défaite de la Belgique.
Lorsque l’Allemagne nazie s’empare de la Belgique, Alain Bosquet décide de se rendre à New York aux côtés des alliés. C’est encore une fois avec les mots qu’il trouvera sa place dans un premier temps. En 1942, il devient secrétaire de rédaction de La France libre dans le journal La Voix de la France.[3]
C’est à cette même période qu’il rencontre de nombreux artistes et intellectuels, dont Maurice Masterlick[4]. Ses poèmes sont publiés et mis en avant par André Breton[5], qui trouve dans le désordre méticuleux de ses vers une justification pour leur apposer une étiquette surréaliste.
Cette période de troubles internationaux est aussi un moteur pour l’échange entre divers cercles d’auteurs présents dans le monde libre, elle est également propice à la découverte de nouveaux talents. Ainsi, grâce à Roger Caillois, certains poèmes d’Alain Bosquet sont également publiés dans la revue Lettres Françaises à Buenos Aires.
Néanmoins, constatant la portée limitée des mots face à l’urgence d’un avenir incertain pour le monde, il décide de passer de la plume au képi, donnant à son engagement une nouvelle envergure. Il faut dire que le fait qu’il parle plusieurs langues justifie ce choix. C’est en 1943 que lui vient cette volonté ; il décidera de s’engager dans l’armée américaine. Selon ses propres mots, cette expérience lui sera salutaire puisqu’elle l’amènera à participer au débarquement du 6 juin 1944 depuis les côtes anglaises. Soucieux de se battre, il entre dans le service de renseignements en Angleterre et prépare le débarquement en Normandie. Il décrira cette période comme étant la plus excitante de sa vie.
Pour paraphraser le poème de Jules Supervielle en introduction, on pourrait dire que cette fois-ci les plages ont remplacé les montagnes, formant un couloir à deux issues : la mort ou la gloire littéraire et militaire.
Sans doute que la vision des côtes normandes, lorsqu’il arrive en France libérée, bien que présentant un terrain géographique différent, devait lui rappeler à certains égards celles d’Odessa, de son enfance.
Il s’en sortira vivant mais, comme nous le verrons un peu plus loin, il devra attendre encore un certain nombre d’années avant d’être officiellement adoubé par ses pairs.
À la suite de la libération de Paris, on lui proposera de s’occuper des liaisons alliées, ce qu’il effectuera à Berlin jusqu’en 1951 pour le compte des Américains. Cette même année marque la fin de sa carrière militaire, et il choisit cette fois de s’installer définitivement à Paris où il reprend ses études à la Sorbonne, qu’il terminera en 1953. À cette date, il déclarera vouloir « se concentrer uniquement sur les lettres ».
Retour en Europe et reconnaissance.
Alain Bosquet s’acquittera de cette promesse en se faisant tour à tour professeur, conférencier et écrivain. Mais c’est surtout pour sa prose poétique qu’il est reconnu et grâce à laquelle il collabore dans les journaux les plus prestigieux.
En 1981, il co-fonde la revue Nota Bene[6]. Elle se veut universelle et se distingue par le large éventail des thématiques qu’elle offre à découvrir aux lecteurs. Il enchaîne alors les articles ainsi que les corrections et fait de cette revue, une porte ouverte afin de découvrir de nouvelles plumes.
À partir de cette période, il accumule de plus en plus de reconnaissance ainsi que de renommée. Trois événements viendront récompenser son engagement littéraire. Le premier a lieu en 1987, où il est élu à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Le second se déroule en 1989, cette fois il obtient le Prix Goncourt de la poésie[7] puis, enfin, c’est le Québec qui viendra consacrer son talent en l’élisant à l’Académie des lettres ; parallèlement il sera nommé président de l’Académie Mallarmé en France.
Alain Bosquet s’éteint le 8 mars 1998 à Paris. Au-delà des récompenses et de la notoriété, ses écrits semblent traduire la position d’un homme sans cesse en quête de nouvelles façons d’articuler les mots, comme si sa jeunesse étalée sur plusieurs continents exigeait de lui que son esprit et son talent étirent sa prose afin de transmettre ses pensées dans un cadre qui ne se limiterait pas à ce qui a déjà été fait.
Ce processus créatif lui permettait ainsi d’essorer les mots à la lumière des différents coins du globe dont il connaissait les divers dialectes, afin d’en extraire une encre suffisamment puissante et limpide pour en faire une synthèse à la portée de tous dans ses œuvres.
GASPARD RAMBEL
- https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Lettre-a-mon-pere-qui-aurait-eu-cent-ans# ↑
- http://supervielle.univers.free.fr/supervielle/oloron_ste_marie.htm ↑
- https://www.imec-archives.com/archives/fonds/090BSQ#:~:text=Secr%C3%A9taire%20de%20r%C3%A9daction%20de%20La,irr%C3%A9guliers%20de%20po%C3%A9sie%20(1995). ↑
- https://francearchives.gouv.fr/fr/pages_histoire/39641 ↑
- https://www.grasset.fr/livre/la-memoire-ou-loubli-9782246404019/ ↑
- https://www.imec-archives.com/matieres-premieres/blogs/blog/alain-bosquet-un-homme-de-revues ↑
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_Goncourt_de_la_po%C3%A9sie ↑