« Le don du romancier se ramène précisément au pouvoir de rendre évidente l’universalité de ce monde étroit où nous sommes nés, où nous avons appris à aimer et à souffrir » — François Mauriac.
« Il était un peu révolté… juste ce qu’il fallait pour ne pas froisser la bourgeoisie à laquelle il appartenait finalement. » — François Mitterrand, 7 juin 1970, interview ORTF avec Michel Polak. 1
Ces deux citations nous éclairent sur la vie que fut celle de François Mauriac, pris dans l’engrenage de la modernité qu’il critiquait tant dans ses romans mais avec laquelle il dut composer, en témoigne son attachement à Paris, où il possédait un appartement, et son domaine de Malagar situé à proximité de Saint-Maixant, sorte de madeleine de Proust de son enfance passée dans les Landes.
François Charles Mauriac, né en 1885, est l’un des plus grands maîtres du roman réaliste. Il est également poète, dramaturge, critique, scénariste et journaliste, membre de l’Académie française (1933). Il obtient le prix Nobel de littérature en 1952 « pour la profonde compréhension spirituelle et la force artistique avec lesquelles il a reflété dans ses romans le drame de la vie humaine ». Il a également été décoré de la Grand-Croix de l’ordre de la Légion d’honneur. Il figure parmi les personnalités littéraires les plus marquantes et clivantes du XXe siècle.
Œuvres majeures.
Il est l’auteur de « Thérèse Desqueyroux » et du roman « Le Nœud de vipères ». François Mauriac a reçu une éducation catholique stricte, à la fois au sein de sa famille et à l’école. Son amour de la lecture s’est éveillé très tôt, avec une affection particulière pour la poésie, notamment les vers de Musset, Vigny, et plus tard de Verlaine, Rimbaud et Baudelaire. Mauriac a étudié la philologie à l’université de Bordeaux puis à la Sorbonne. Pendant l’occupation de la France par les forces hitlériennes, il a clandestinement publié un livre dénonçant le collaborationnisme. Il soutiendra le Général De Gaulle durant la Seconde Guerre mondiale et pendant la création de la Vème République.
De son vivant, il était souvent perçu comme un homme de paradoxes et de curiosités. Ses intérêts professionnels changeaient si fréquemment qu’on avait l’impression qu’il voulait constamment revenir en arrière. Le passé l’inspirait plus que l’avenir. Lui-même admettait que son œuvre semblait collée au passé, et que le monde moderne ne l’intéressait guère. Dans presque tous les ouvrages de Mauriac, l’action se déroule à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. En prolongeant la tradition d’Honoré de Balzac et d’Émile Zola, Mauriac a fait de la nature humaine le sujet de ses explorations littéraires. Les premières œuvres de Mauriac (ses premiers recueils de poèmes et ses romans) représentaient le cheminement d’un jeune homme à la recherche de Dieu, après avoir observé l’obsession que l’argent pouvait provoquer sur les gens. L’influence des convictions religieuses de l’auteur y était palpable, profondément autobiographique et souvent imitative, mais les caractéristiques d’un écrivain mature étaient déjà visibles.
L’activité littéraire de Mauriac a débuté en 1909 avec la publication d’un recueil de poèmes intitulé « Les Mains jointes ». Le jeune auteur a rapidement reçu des retours positifs, notamment de Maurice Barrès, un écrivain qui a eu une forte influence sur lui. Bien que ce recueil ait attiré l’attention de nombreux littérateurs, la renommée de Mauriac est venue plus tard.
Les premiers romans de Mauriac portaient sur des thèmes éternels : les conflits entre Dieu et l’Homme, la complémentarité entre l’homme et la femme, l’Homme et sa conscience. Plus tard, Mauriac s’est illustré en tant que psychologue exceptionnel et historien de la société contemporaine. Il considérait que l’écrivain était l’être qui ressemblait le plus à Dieu, car il créait lui aussi des êtres vivants, inventait leur destin, tissait des événements et des catastrophes, croisait leurs chemins de vie et les menait jusqu’à l’heure de leur mort.
François Mauriac était souvent qualifié de « romancier impitoyable » car il représentait fidèlement les vices humains chez ses personnages : la cupidité, l’intérêt personnel, l’immoralité, la cruauté, l’hypocrisie, l’indifférence, comme dans « Thérèse Desqueyroux ». Dans ce roman, l’héroïne, orpheline de mère, tente d’empoisonner Bernard, son mari. Celui-ci, pour préserver l’honneur de sa famille, décide de plaider au tribunal en faveur de son épouse ; Thérèse obtient un non-lieu. Durant tout le roman, Mauriac effectue le cas de conscience de Thérèse et imagine l’introspection d’une âme qui revient sur l’origine de ses fautes dont elle cherche le pardon. Bien entendu, l’action de son mari en sa faveur était le fruit de leur environnement : un monde bourgeois à la froideur impitoyable et bornée, et qui ne reconnaissait pas de place aux écarts tragiques ou aux scandales.
La nature et la foi.
La seule voie qui attirait Mauriac, en dehors du travail d’écrivain, était la profession de prêtre, de guide spirituel. Il a toujours été un prédicateur, désireux de renforcer une foi vacillante. Pourtant, il ne souhaitait pas être considéré comme un écrivain catholique, préférant la définition de « catholique écrivant des romans ». L’action de nombreux livres de Mauriac se déroule dans les Landes bordelaises côtières, sa petite patrie, qui pour lui incarne l’élément naturel, sans lequel il est impossible de préserver l’élément spirituel. Cependant, il est loin d’idéaliser le patriarcat, que les terriens voyaient comme le salut de l’humanité : ce qui compte le plus pour lui est le lien intérieur profond avec la nature, qui permet à l’homme de toucher l’éternité et de comprendre sa véritable vocation. Presque toutes les œuvres de Mauriac, jusqu’à son dernier roman autobiographique « Un adolescent d’autrefois » (1969), sont consacrées aux problèmes de la famille, qu’il considérait comme un microcosme, où ses propres guerres se déroulent et où les personnes, réunies par amour, « se livrent à la haine ».
L’écrivain avait comme mission de dépeindre l’homme dans son état naturel, cherchant à dévoiler le monde intérieur de ses personnages, des individus extraordinaires condamnés à l’incompréhension et à la solitude. Leurs destins et leur vie deviennent une « route vers nulle part », et les relations familiales ressemblent à un « nœud de vipères » comme il titre l’un de ses livres.
Dans « Un adolescent d’autrefois », Mauriac se demandait : « Parviendrai-je jamais à mettre en scène des personnages qui irradient la vertu et qui sont ouverts de cœur ? » Pourtant, il aimait chacun de ses personnages, même les plus repoussants, misérables et insoumis.
Au cours de sa longue vie (François Mauriac a vécu 85 ans), l’écrivain a connu de nombreuses déceptions et a tiré la conclusion perspicace qu’il ne coûtait rien de construire des châteaux en Espagne, mais que leur destruction pouvait être très préjudiciables, sorte de métaphore sur le matérialisme et sa finitude, les relations humaines et leurs limites. Il décède en 1970 en laissant une œuvre qui est toujours d’actualité tant les thèmes qu’il a explorés sont intemporels.
Gaspard Rambel
1 https://fresques.ina.fr/mitterrand/fiche-media/Mitter00235/le-bagage-litteraire-du-jeune-francois- mitterrand.html