Kiev Express : récit de voyage.

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À travers ce récit, je donne aux lecteurs une partie de mon ressenti concernant la découverte de Kiev, lors de mon premier séjour en 2023.

   540 kilomètres séparent Lviv de Kiev. La route zigzague entre des plaines sauvages et fertiles, s’insinuant dans des champs que la brume recouvre à certains endroits. Des forêts jalonnent le paysage et portent, dans leurs coutures discrètes, la rosée de l’automne encore présent.

Une dame à côté de moi regarde aussi par la fenêtre, au bout d’un moment elle se met à me parler et me pose tout un tas de questions sur Paris. Elle m’explique y avoir fait une partie de ses études, et remercie les occidentaux pour leur aide, avec un accent à peine prononcé.

Je lui parle alors du rapport de l’Institut pour l’étude de la guerre (ISW), selon lequel le coût de la défaite de l’Ukraine serait bien plus élevé, pour l’Union européenne et les États-Unis, que le montant total des enveloppes financières jusqu’à présent envoyées.

« Vous savez, débourser un peu d’argent, est parfois la meilleure manière d’épargner des vies ! Beaucoup de Hryvnias, monnaie ukrainienne, sont utilisés à mauvais escient dans ce pays ! L’armée devrait être la première à en bénéficier, ce sont des civils après tout… »

Elle me fait une tape sur la main avec un sourire mélancolique, comme si l’utilisation d’une langue étrangère avait activé dans son cerveau la possibilité de poser sur sa langue ce qu’elle retenait dans ses pensées depuis bien longtemps.

La corruption est comme une punaise de lit qui ne cesse de réapparaître, sans attendre la nuit, en Europe de l’Est.

J’observe de nouveau l’horizon par la fenêtre que la locomotive devance avec une parfaite harmonie, de temps en temps le chef de cabine apparaît pour s’assurer que personne ne manque de rien.

Côté couloir, et au milieu du wagon, un poste TV diffuse des images d’une femme portant une broderie traditionnelle que l’on appelle « Vyshyvanka », symbole de résistance. On peut d’ailleurs apercevoir cette tenue dans le tableau du poète Taras Shevchenko Katerina peint en 1842. Les différentes séquences expliquent comment porter ce vêtement selon la coutume établie. Le train rejoint les rails de Kiev lentement, ce qui contraste avec l’émulation induite par la perspective d’arriver à quai. Petit à petit l’Azur reprend sa majesté et concurrence l’émerveillement que provoque l’entrée dans la gare.

Une salle réceptionne les voyageurs au premier étage et débouche sur un escalier automatique qui donne sur un hall en marbre immense. Deux chandeliers perchés au plafond éclairent l’espace et donnent à l’endroit un aspect féerique. Avant de sortir nous devons quand même présenter nos valises, passer un portail de sécurité, et présenter nos passeports.

Je me rends directement dans l’appartement que j’ai loué afin de pouvoir découvrir la ville. L’architecture de celle-ci est un mélange de quartiers perplexe, oscillant entre vestiges de l’URSS et bâtiments modernes. Certaines façades évoquent la guerre, impacts de balles ou bâtiments éventrés par les premiers missiles russes en 2022, la Tour 101 notamment. Néanmoins, la ville est propre et bien organisée : tramways, bus, métros s’acquittent de leurs tâches et la population est respectueuse. Difficile d’en être autrement me direz-vous avec des militaires qui patrouillent dans chaque rue.

   Concernant les lieux à visiter, la place Maïdan est l’un des premiers qui me vient à l’esprit. Elle est entourée par un quartier résidentiel. Au centre de celle-ci se trouve un boulevard qui présente, sur son versant droit, le monument de l’Indépendance entouré d’une pelouse qui recueille des petits drapeaux aux couleurs de l’Ukraine, certains d’autres nations ; ils traduisent le nombre de décès sur la ligne de front. Lorsque je les observe j’aperçois des photos à certains endroits, ça me permet de mettre des visages sur le chiffre des morts qui ne cesse d’augmenter à mesure que les jours passent. Je pense aux fauteurs de guerre, l’héroïque reportage de Mstyslav Tchernov me revient en mémoire. Je pense aussi à mes amis ukrainiens en France qui ont quitté Zaporijjia, Kherson ou avec qui j’ai étudié à l’université. Je m’interroge alors sur ce besoin de tuer, que certaines personnes dissimulent en elles, comme le serpent son venin.

Je termine ma réflexion en jetant un coup d’œil sur le versant gauche du boulevard de la place Maïdan où s’est déroulée la Révolution de la Dignité en 2014. En ce début d’automne, et avec le soleil qui aide maintenant le ciel bleu à recouvrir la terre de son couvercle pastel, j’aperçois la statue de la paix. C’est un globe cerclé d’hirondelles, symbole de liberté, porté par une colonne néoclassique en granit de plusieurs mètres. Je découvre également deux villes souterraines, le « Globus » qui est l’équivalent des Galeries Lafayette à Paris, voisin de « Metrograd », où l’on peut trouver toutes sortes de babioles utiles à la vie courante.

Je continue vers le nord de la ville en direction de l’Arche de l’amitié entre les peuples. Sur le chemin je passe devant la bibliothèque Yaroslav le Sage où j’irais m’inscrire, j’ai encore la carte d’entrée dans mon portefeuille.

Après avoir monté des escaliers accompagnés par le bruissement des arbres j’arrive sur l’esplanade : des tribunes, comparables à celles que l’on peut voir au Colisée, à Rome, donne effectivement sur une arcade. Celle-ci offre un point de vue imprenable sur le fleuve Dniepr.

Après m’être imprégné du décor je descends vers le pont à ma gauche qui enjambe les hauteurs de la ville et m’amène sur l’allée des artistes, qui se signale par la présence de la statue de Volodymir le Grand. À cet endroit on peut trouver des tableaux et toutes sortes de créations. J’y croise une dame qui vend des toiles, en discutant du prix, elle reconnaît mon accent français et m’indique que son fils habite Dijon, elle me parle des acteurs hexagonaux de la grande époque et je lui demande son favori, ce à quoi elle répond :

« Jean Gabin pour le plat principal et Alain Delon pour le dessert! »

Je continue ma route en lui promettant d’organiser un repas avec celui-ci, son rire accompagne mon départ, bien-sûr, je ne savais pas qu’il allait nous quitter en 2024.

   Le reste de la journée se divise entre la visite de la cathédrale Sainte-Sophie, et le passage devant la cathédrale Saint-Michaël, qui se trouve en face ; des carcasses de blindés et de missiles sont installés devant l’entrée, ainsi qu’une fresque mémorielle, en hommage aux victimes de l’Holodomor.

En reprenant le chemin vers mon appartement qui se situe en bas de l’avenue de la gare, je trouve l’énergie de prendre en photo la Porte Dorée, mélange d’architecture baroque et byzantine construite entre 1017 et 1024, afin de célébrer la victoire de Yaroslav le Sage contre les Pechenegs, une tribu nomade turc.

   En fermant la porte de mon appartement, je passe quelques coups de fils à mes proches. Ce soir-là je me promets de visiter le parc Baby Yar, on peut y trouver une Menorah et d’autres monuments qui saluent la mémoire des victimes de la Shoah et du nazisme, les Tziganes notamment.

Le monde avance, les circonstances varient d’une minute à l’autre, mais j’ai la certitude cette nuit-là d’être à ma place.

Kyiv, Décembre 2023.

Gaspard Rambel