Qui n’a jamais craint la nuit ? Environnement dangereux, à risque, l’Homme évite l’obscurité. La lumière du soleil ou la lumière des néons rassurent et purgent le mal qui peut gangrener les villes.
Espérer se traduit par l’attente confiante de quelque chose que l’on désire. Cette espérance en urbanisme s’est traduite, et se traduit encore aujourd’hui, en modifiant l’environnement urbain pour le rendre plus vivable, plus agréable tout simplement. Quoi de plus significatif d’espoir que la lumière ? Nos villes étaient rongées par les maladies, l’humidité et les parasites en tout genre. À cela, le mouvement hygiéniste [1] du XIXe siècle se donne pour ambition d’amener, entre autres choses, le soleil dans la cité. Les villes majeures d’Occident se reconstruisent sur elles-mêmes, s’aèrent, s’ouvrent, se désinfectent par la lumière purificatrice.
Mais aujourd’hui, le soleil est trop fort. Le béton reflète notre société… l’humidité cède sa place à l’aridité et, surtout, au désenchantement. L’atmosphère en devient invivable et de la lumière à l’ombre, l’espoir est rendu indéchiffrable. Ces quelques lignes pourront toutefois éclairer la lanterne du lecteur qui pourra poser des mots sur ces phénomènes urbains à l’œuvre tout près de chez lui.
L’espoir de mieux vivre en ville trouve donc aujourd’hui un équilibre entre lumière et ombre.
I- L’espoir de plus de lumière
La lumière a envahi les espaces publics extérieurs (A) pour pénétrer ensuite les foyers (B)
A) Plus de lumière dans l’espace public
In fine, presque tout est densité. Voyez les villages médiévaux devenus aujourd’hui vos centres-villes, voyez l’étroitesse de leurs rues. Peut-on imaginer que le soleil puisse y entrer ?
Paris, pour n’en citer qu’une, Barcelone pour en ajouter une, sont de ces cités qui laissaient pénétrer moins de soleil que d’humidité. Ni une ni deux, les urbanistes du XIXe ont tout rasé ou presque. Percer les bâtisses existantes pour ouvrir de grandes artères, tel était leur fer de lance.
En premier lieu, l’espacement entre bâtiments est conceptualisé et mis en œuvre. Alors que la structure de Barcelone est hippodamienne [2] et d’une forme quadrangulaire régulière, les structures urbaines françaises ont une nette tendance à être de forme radioconcentrique ou linéaire. Mais quel que soit le type de structure, l’espacement joue un rôle majeur. Par principe, le règlement national d’urbanisme, dites RNU [3], impose pour tous les édifices qu’en l’absence d’un plan local d’urbanisme plus précis, « lorsque le bâtiment est édifié en bordure d’une voie publique, la distance comptée horizontalement de tout point de l’immeuble au point le plus proche de l’alignement opposé doit être au moins égale à la différence d’altitude entre ces deux points ». Le plan local d’urbanisme peut donc y déroger, fixer des règles différentes « afin de contribuer à la qualité architecturale ». Aucune autre règle précise n’impose aux communes, dans la rédaction de leur plan, de prévoir une distance d’alignement minimale par rapport à la voie publique.
En deuxième lieu, la lumière peut être accrue en limitant les hauteurs des bâtiments. Les dispositions précitées relatives à l’alignement touchent aussi à la hauteur, car elles réglementent l’altitude des bâtiments jouxtant la limite de voirie. Mais peut-on espérer une régulation pour tous les autres bâtiments ? Le coefficient d’occupation des sols réglementant le nombre de mètres carrés de surface de plancher pouvant être construits par mètre carré de sol du foncier permettait de restreindre les hauteurs. Disparue depuis 2014 avec la loi ALUR [4], cette ancienne règle nationale devient facultative au niveau national dans les PLU [5]. Encore une fois, les communes ont toute latitude pour décider des hauteurs minimales ou maximales admises, et partant, du degré d’ensoleillement en ville. Mais avec étonnement, la hauteur est aujourd’hui appréhendée sous le nouveau prisme de l’écologie. La récente loi Climat et résilience et son décret d’application du 8 mars 2023 enclenchent une petite révolution : il peut désormais être dérogé aux règles de hauteur des bâtisses lorsque le constructeur utilise des modes de construction « faisant preuve d’exemplarité environnementale ». Les calculs communaux d’ensoleillement pourront donc être mis en échec aléatoirement selon les projets entrepris par nos constructeurs écologistes. En toute hypothèse, les élus locaux comme les constructeurs n’oublient pas que le trouble anormal de voisinage peut être invoqué pour perte d’ensoleillement. Ce couteau suisse du Code civil demeure une arme particulièrement efficace pour autant que les particuliers sachent le dégainer.
Enfin, ces quelques lignes ne pourraient faire l’économie du cas des lanternes qui éclairent nos nuits urbaines. Cette révolution nocturne a été un bouleversement technologique, un signe d’espoir pour les noctambules d’antan et d’aujourd’hui. L’éclairage public perpétue le jour, embellit les nuits en même temps qu’il les protège.
Les maires sont ceux pouvant décider, avec la plus grande liberté, de l’éclairage ou non de leur commune et de leurs rues. Les administrés n’ont aucun droit à obtenir du maire l’installation ou le fonctionnement de lampadaires, sauf à imaginer la démonstration d’un réel, grave et actuel danger. La lumière, si elle traverse les villes, doit néanmoins arriver jusqu’au cœur des bâtisses. De l’espace public à l’espace privé, il n’y a qu’une fenêtre.
B) Plus de lumière dans l’espace privé
La fenêtre reste malgré tout encore aujourd’hui un signe extérieur de richesse. L’essor de la vitre moderne date réellement de la Renaissance grâce à l’invention par le maître verrier Louis Lucas de Néhou en 1691 d’un nouveau procédé de fabrication du verre par coulage. La fenêtre est une richesse qui nécessitait taxation. Pour cette raison, naquit alors par la loi du 4 frimaire an VII (24 novembre 1798) la contribution sur les portes et fenêtres restée en vigueur jusqu’en 1926 ! Plus nombreuses étaient les fenêtres, plus importante était la taxe. Mais les Français espéraient mieux. Les effets pervers de cette loi se firent vite sentir avec la réduction par les constructeurs du nombre et de la taille des fenêtres ! La lumière ne passait plus, l’obscurité prospérait.
Le droit de l’urbanisme n’impose pas aujourd’hui de minimum légal. Il semblerait a priori qu’un constructeur puisse bâtir sans poser de fenêtres ou d’autres ouvertures. Oui, il peut le faire, mais pas en matière d’habitat. C’est alors qu’il faut chercher le fondement dans le code de la santé publique : « […] ne peuvent être mis à disposition aux fins d’habitation, à titre gratuit ou onéreux, les […] pièces de vie dépourvues d’ouverture sur l’extérieur ou dépourvues d’éclairement naturel suffisant. » Le constat est clair : la lumière est bien signe d’espoir ! Plus encore, le droit à en obtenir dans son espace privé relève de la santé publique – l’utilité commune tient au cumul des utilités individuelles.
Le droit va même encore plus loin puisqu’il impose que « les pièces principales des logements permettent aux occupants de bénéficier d’un apport de lumière naturelle, d’une vue sur l’extérieur, d’un contact avec l’extérieur et d’un renouvellement d’air ponctuel ». La lumière n’est donc plus suffisante, la vue et le contact vers l’extérieur s’imposent également ; ce sont là de réels signes d’ouverture vers la ville et l’espace public. Entrons alors dans le détail de la lumière jusqu’aux photons. Les logements doivent respecter trois exigences à ce propos. En premier lieu, un niveau d’éclairement naturel d’au moins 300 lux [6] sur 50 % des locaux dans plus de la moitié des heures éclairées par la lumière du jour dans l’année. En deuxième lieu, un niveau de 100 lux sur 95 % de ces mêmes locaux, dans ces mêmes conditions. Enfin, et de manière plus surprenante, dans au moins une pièce principale, l’occupant à droit de disposer, à une distance d’au moins un mètre de la façade d’une vue sur l’extérieur permettant de visualiser la ligne d’horizon. Mais par exception à cette série d’exigences, un constructeur peut simplement se conformer à ses obligations lumineuses en installant des grandes surfaces de baies vitrées. Le besoin de lumière et la nécessité de diminuer notre consommation énergétique se rejoignent ici en mêlant le beau et l’utile.
La lumière réchauffe, mais peut aussi brûler. L’été arrive, et les citadins rasent les murs. La lumière chasse l’ombre, et le passant n’a nulle part où se réfugier. Il espère simplement un peu d’ombre.
II- L’espoir de plus d’ombre
Le besoin de se cacher s’exprime dans les rues (A) mais aussi tout naturellement chez soi (B).
A) Moins de lumière dans l’espace public
La lumière, à trop forte dose, peut s’avérer être une calamité, d’autant plus de nos jours. Non, il n’y a pas que la chaleur qu’elle produit, elle est en elle-même source de pollution lumineuse.
En ce qui concerne la chaleur qu’elle produit, l’arbre est la solution de premier ordre pour le monde rural, et aujourd’hui pour le monde urbain. Déjà au XIXe siècle, Ildefonso Cerdà conceptualisait la ville de demain avec de nombreux arbres et force est de constater que sa théorie a été merveilleusement bien exécutée dans les rues de Barcelone. Une étude publiée le 31 janvier 2022 dans la revue The Lancet démontre que doubler la couverture en arbres dans nos villes (15 à 30 %) permettrait de réduire de près de 0,5 °C en moyenne la chaleur en été. On constate que la baisse de température est d’autant plus importante que l’on se situe directement sous les arbres qui nous protègent. Montpellier s’est dotée d’une Charte de l’arbre et espère ainsi réduire de 2 °C à 7 °C la température ressentie sur la place de la Comédie et l’Esplanade. Lyon a adopté un « plan nature » qui a déjà permis la création de forêts urbaines comprenant plusieurs milliers d’arbres. Paris accentue la démarche entreprise depuis le début du mandat d’Anne Hidalgo et a annoncé en mai 2023 avoir planté 25 000 arbres en six mois pour arriver à l’objectif de 170 000 d’ici à 2026. Ces phénomènes se multiplient, mais il ne faut pas se tromper : pour beaucoup, le vrai indicateur de réussite est celui de savoir si chaque citoyen a accès à un arbre. Il faut donc oser réduire l’espace piéton ou automobiles pour faire une petite place à ces amis verts.
Il est cependant constant que les plans locaux d’urbanisme peuvent imposer des obligations en matière de réalisation de plantations à tout demandeur de permis de construire. Même s’il est vrai que ces plans imposent bien souvent et allègrement ces plantations, les communes décident discrétionnairement d’imposer tel ou tel niveau de plantation ce que l’on peut légitimement regretter.
Il est important de mentionner que la lumière est aussi source de pollution en elle-même. Cette reconnaissance progressive se matérialise aujourd’hui avec un arrêté ministériel de 2018. Désormais, les éclairages extérieurs (en particulier ceux de voirie) « sont éteints au plus tard 1 heure après la cessation de l’activité et sont rallumés à 7 heures du matin au plus tôt ou 1 heure avant le début de l’activité si celle-ci s’exerce plus tôt ». Les éclairages de vitrines commerciales sont également soumis à ces nouvelles restrictions temporelles. Mais l’arrêté va plus loin, et on peut le comprendre. La puissance lumineuse des éclairages orientés vers l’extérieur doit être conçue de manière à prévenir, limiter et réduire les nuisances lumineuses. Et les critères sont nombreux et précis : surface éclairée, flux lumineux, puissance électrique, température de couleurs… Là encore, nous pouvons aisément comprendre que le besoin de moins de lumière se conjugue avec le besoin public d’économie d’énergies. Enfin, de manière plus spécifique mais tout aussi utile, les publicités lumineuses ont récemment été régulées par notre droit. Non seulement elles sont interdites dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants, mais lorsqu’elles sont autorisées, leur localisation, leur surface, leur puissance et leur fonctionnement la nuit sont strictement restreints. Certaines communes vont plus loin et ont pu créer de toutes pièces des schémas directeurs d’aménagement lumière (SDAL). L’action tient à mieux comprendre et rationaliser l’usage de leur éclairage public.
Nous comprenons alors que la lumière n’avait pas à chasser toutes les ombres de nos nuits. La nuit berce ceux qu’elle accueille, ceux qui subissent d’innombrables assauts lumineux diurnes et nocturnes. Le cycle d’ensoleillement doit être respecté.
B) Moins de lumière dans les espaces privés
Les espaces privés doivent aussi être protégés de la lumière extérieure, lumière qui expose nos intérieurs aux vis-à-vis, aux regards indiscrets. Cela peut être étonnant, mais le droit s’en est occupé très tôt en raison de la protection de la propriété privée rendue sacrée par la Révolution française. Le Code civil a interdit ce que l’on nomme « servitude de vue » : les vues droites et les vues obliques. Les premières sont des vues permettant une vision directe sur l’immeuble voisin, sans avoir à se pencher ni à tourner la tête. Les secondes sont donc celles impliquant d’avoir à jouer les contorsionnistes. Aucune construction nouvelle ne pourra ainsi s’édifier si elle a pour conséquence la création d’une servitude de vue droite du fond voisin situé à moins de 1,9 mètre, ou 0,6 mètre s’il s’agit d’une vue oblique. Plus encore, le trouble anormal du voisinage (que le lecteur connaît sûrement pour les nuisances sonores) s’applique totalement et parfaitement aux pertes d’intimité. Même si la construction respecte les distances de 1,9 et 0,6 mètre, rien n’interdit d’alléguer le trouble anormal de voisinage : prouver le trouble, l’anormalité de celui-ci et sa localisation voisine.
L’épineuse question du voisin réglée, retournons vers l’émission de lumière en elle-même. Il n’y a pas plus légitime question que celle de savoir si la puissance publique pourrait aller jusqu’à réduire la lumière au sein de nos logis. Eh bien oui, vous ne pouvez déjà pas espérer y échapper. L’arrêté ministériel du 27 décembre 2018 précité s’applique également aux éclairages dits de sécurité et de confort. L’objectif ne tient plus uniquement à ne protéger que l’humain de la lumière, mais également la faune, la flore et les écosystèmes en passant même par la difficulté à observer le ciel nocturne. Comment illuminer la nuit avec respect ? En privilégiant les couleurs ambrées, en n’éclairant que les surfaces utiles, ou encore en n’éclairant que faiblement l’environnement. Ces nouvelles considérations amènent donc à trouver un équilibre plus recherché, plus sourcilleux entre la lumière et l’obscurité nocturne.
Mais même de jour, vous n’êtes plus à l’abri de restrictions. L’exécutif préparait en secret, à peine dissimulé, un décret d’expérimentation qui limiterait la puissance électrique de près de 200 000 ménages pendant deux heures entre 6 h 30 et 13 h 30 et entre 17 h 30 et 20 h 30, d’ici au 31 mars 2024. La puissance serait réduite à 3 kVa[7] en lieu et place de l’habituel 6 kVa de la majorité des foyers. L’objectif est affiché : réduire la puissance électrique plutôt que de risquer un black-out. Le Conseil supérieur de l’énergie (CSE) s’est actuellement saisi de ce projet de décret, et devra rendre son avis public dans les premières semaines de 2024. Dans l’incertitude des années à venir, nous ne pouvons qu’attendre et espérer que la lumière continuera à nous éclairer.
Le constat, loin d’être obscur, apparaît clair : au mouvement de lumière a succédé le retour de l’ombre. Dans les deux cas, la technologie et la savoir, ont été le moteur de ces avancées. Il apparaît ainsi plus compliqué de freiner notre besoin en lumière, tant elle s’est ancrée dans nos vies au cours du dernier siècle. L’espoir d’un retour à l’équilibre anime les esprits lucides.
Cassandro Cancellara
[1] : Mouvement architectural et d’urbanisme luttant contre l’insalubrité des logements.
[2] : Type d’organisation de la ville dans laquelle les rues sont rectilignes et se croisent en angle droit, créant des îlots de forme carrée ou rectangulaire.
[3] : Règles d’urbanisme minimum s’appliquant à tout le territoire à défaut de plan locaux plus précis.
[4] : Loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
[5] : Plan local d’urbanisme.
[6] : Unité de mesure de l’éclairement lumineux
[7] : Kilovoltampère – unité de mesure de puissance électrique.