L’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) ne commence pas avec Le Petit Prince (1929), qui va être l’objet de notre étude. Il s’est tout d’abord fait connaître en tant que pilote dans l’armée durant son service militaire. C’est l’un des premiers aviateurs à avoir établi de nouvelles liaisons aériennes entre les différents coins du globe.
Tour à tour aviateur, poète, journaliste puis écrivain, Antoine de Saint-Exupéry a su transcender chacune de ses activités afin de récolter la substance nécessaire à la rédaction de ses ouvrages.
Ses écrits s’inspirent de ses différentes histoires vécues au travers de ses éxpéditions en avion, ce n’est donc pas un hasard si son premier roman s’appelle Courrier Sud (1929). Ce roman est une version remaniée de son premier texte, L’Aviateur, publié en 1926 dans la revue Le Navire d’argent.
Jacques Bernis est le héros de ce récit qui romance les aventures d’Antoine de Saint-Exupéry lors de ses différents périples afin d’acheminer le courrier en Europe ou en Amérique du Sud.
Son métier charriant avec lui son lot de risques, cela rend difficile sa relation avec Geneviève, ce qui conduira à leur séparation.
Son premier roman est bien accueilli par la critique et le conforte dans son envie de transmettre ses découvertes en parallèle de son métier de pilote d’avion.
Après ce premier succès, il publiera Vol de Nuit (1931) qui obtiendra le prix Fémina la même année. Les ingrédients sont toujours les mêmes : aventure, analyse de la condition humaine, émerveillement face à ce que la Terre propose aux hommes, et enfin l’adrénaline, son carburant, comme le pétrole l’est pour les avions.
Qui mieux qu’un aviateur peut nous conter l’histoire d’un enfant descendu du ciel afin de distiller ses conseils aux habitants de la Terre, comme il le fait dans son œuvre maîtresse Le Petit Prince ?
Le Petit Prince : genèse et postérité.
Antoine de Saint-Exupéry était un aventurier, il ressentait les tribulations de son époque mieux que quiconque, tout en parvenant à les synthétiser dans ses livres. « Je sens que les gens sont unis et font partie de quelque chose d’encore plus grand lorsqu’ils dépassent leurs individualités, afin de former un tout commun. Seuls les enfants et les poètes ressentent le monde de cette façon. » Saint-Exupéry était à la fois un adulte-enfant et un poète.
Saint-Exupéry vient d’une vieille famille noble ; parmi ses cousins, on trouve des princes et princesses. À vingt-huit ans, il n’avait pas de profession décente selon ses parents, malgré un service militaire réussi. Même s’il est issu de la noblesse, sa famille était trop pauvre pour l’aider. Trouver un travail dans un bureau n’était pas fait pour lui. C’est à l’âge de vingt-huit ans qu’il est recruté dans l’entreprise Latécoère, ancêtre de l’Aéropostale.
Dans l’aviation, Saint-Exupéry exerce ce dont il rêvait depuis enfant : découvrir le monde et ses mystères, comme certains cherchent encore à percer les secrets contenus dans Le Petit Prince. Cette épopée n’aurait pas été possible sans de véritables amitiés, une foi en l’humanisme chevillée au corps, et, enfin, sans une quête de la maîtrise du ciel à travers les progrès de l’aviation.
Le Petit Prince a été écrit en 1942, mais publié seulement en 1943 en Amérique, par une petite maison d’édition. En effet, l’écrivain se trouvait, en partie, sur le Nouveau Continent durant la seconde guerre mondiale. L’ouvrage ne paraîtra en France qu’à titre posthume en 1945. L’auteur était également féru de dessins, chaque chapitre de son conte poétique en contient au moins un : les planètes, les baobabs, ainsi que la boîte où se trouve le mouton en sont des exemples.
Saint Exupéry a toujours apprécié et su dessiner. Il s’agissait généralement de croquis au crayon, qu’il coloriait parfois en privé, pour lui-même ou des amis. Saint-Exupéry dédiera le livre à l’un d’eux : « À Léon Werth quand il était petit ».
Le Petit Prince est l’un des livres qui a soulevé le plus de critiques et engendré de nombreuses interprétations concernant les énigmes qu’il contient. En effet, le livre est difficilement classable : certains y voient un conte initiatique, une parabole philosophique à propos de la condition humaine, d’autres retiennent la symbolique présente dans les dialogues, et, pour les enfants, elle n’est qu’une simple nouvelle poétique, car ils n’ont pas encore été corrompus par le monde.
Le livre de Saint-Exupéry est devenu non seulement un succès mondial, mais aussi une sorte de laissez-passer, de talisman, d’espoir pour tous les hommes de bonne volonté. Pour certaines personnes, il constitue une sorte de bible qui analyse les travers de l’humanité. Essayons d’en percer certains secrets.
Le Petit Prince : analyse du conte.
En parcourant les premières pages du Petit Prince, tout porte à croire que le récit relate les délires d’un aviateur perdu dans le Sahara et qui est rattrapé par la fièvre du désert. Après tout, l’apparition d’un chérubin aux cheveux blonds bouclés, alors que l’avion du héros vient de tomber en panne, peut amener à ce genre de biais de lecture. On pourrait se dire que cet enfant est le fruit d’une hallucination d’un mourant, sans eau et sans nourriture.
Néanmoins, ce biais est très vite balayé au fur et à mesure des pages et des dialogues. Les thèmes de l’amour, de l’amitié avec le renard, du mal avec le serpent, du travail ouvrier avec la figure de l’aiguilleur, de la médecine, de l’avarice et enfin de la recherche seront abordés tout au long des pérégrinations du Petit Prince sur les différentes planètes.
Les spécialistes qui considèrent que Le Petit Prince n’est pas un conte poétique, mais un récit philosophique ont également raison. Dans ce livre il nous amène, ontologiquement, à nous interroger sur les valeurs humanistes et les choses essentielles de la vie qui sont invisibles pour les yeux, comme lui souffle en secret le renard lorsque le Petit Prince comprend que sa rose, même si elle ressemble à des milliers d’autres, est la sienne, car c’est lui qui s’en occupe, l’arrose, l’entretient, la met en valeur.
Ce conte pose aussi la question du rapport entre l’enfance et le monde des adultes. Après tout, le Petit Prince ne pourra jamais accepter la voie du monde des seconds et cela apparaît de manière flagrante, lorsqu’il atterrit sur la quatrième planète, après sa rencontre avec un personnage qui rachète des étoiles afin d’augmenter sa richesse et ses possessions. Le Petit Prince n’effectuera aucune activité d’adulte qu’il considère « sans valeur » : dominer comme lui propose le roi dans la région des astéroïdes 325, 326, 327, 328, 329 et 330, compter comme le vendeur d’étoiles précédemment cité. On comprend aussi son incompréhension lorsqu’il arrive sur la seconde planète et que le propriétaire, personnification de la vanité, lui intime l’ordre de l’admirer malgré le fait qu’il soit seul à y habiter — comme toutes les personnes qui se perdent dans le reflet que peut donner un miroir biaisé, lorsqu’il nous renvoie nos propres certitudes.
Un autre aspect intéressant de ce conte est la rencontre avec le renard qui, outre le mystère qu’il lui a révélé sur les choses essentielles qui sont invisibles pour les yeux, lui apprend également qu’il est responsable de sa propre rose, de ce qu’il a apprivoisé, la rose étant bien sûr une métaphore d’un ou d’une partenaire.
Ici une analyse comparative est intéressante avec Peter Pan, qui ne supporte aucune forme d’autorité, ne souhaite pas devenir adulte, ni être responsable de sa vie et de celle des autres. Le Petit Prince, lui, au contraire n’est pas un adulte, mais il se sent responsable des choses qui l’entourent sur sa planète : les volcans, les baobabs, le mouton et la rose. Peter Pan serait ainsi nihiliste quand le Petit Prince, lui, au contraire, prend le meilleur des qualités des gens de bonne volonté afin d’améliorer ce qui l’environne. En extrapolant, on pourrait parler d’un artisan qui œuvre pour le bien de la société où il vit.
Le Petit Prince est un récit-fleuve, initiatique, à la fois stellaire et en connexion avec la terre, encore un autre clin d’œil, cette fois-ci concernant le rapport entre microcosme et macrocosme. Malgré sa jeunesse, son émerveillement, l’enchantement envers les choses l’amène à pousser sa réflexion plus loin que bon nombre d’adultes. Après tout, ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants ?
L’histoire se termine par une interrogation que seuls les contes poétiques peuvent poser : l’espoir de rencontrer son Petit Prince désormais retourné sur sa planète, une étoile lointaine, avec le doute de savoir si la muselière donnée au mouton suffira à protéger sa rose.
Depuis le Panthéon, nous avons tout de même un petit indice : Antoine de Saint-Exupéry est simplement retourné rejoindre le Petit Prince sur sa planète, son tombeau n’est que l’allégorie de la caisse où se trouve le mouton, qui est désormais muselé à jamais, pour le plus grand plaisir de sa rose bien-aimée.
Ici se trouve la conclusion : rien n’est tout noir, comme pourrait le laisser penser la figure du serpent, qui symbolise le diable, ou tout blanc comme le souhaiterait le Petit Prince. Il faut parfois emprunter des chemins grisaillant, ombrageux. La vérité s’aide parfois du brouillard afin de mieux nous faire accepter ses éclaircies. Cette brume, où se noie la raison, nous pousse irrésistiblement à vouloir la traverser, chacun avec la certitude que sa fortune exige que ces rayons de vérité viennent confirmer leurs choix au bout du parcours. C’est que la profondeur du parcours initiatique varie selon la part de grâce et de volonté que chacun porte en soi, et qu’aucun sentier où s’engage l’existence ne peut nous retirer.