Victor Hugo (1802-1885) inscrit son œuvre entre deux périodes troubles de l’histoire : l’épopée napoléonienne et la montée en puissance de la Prusse de Bismarck, qui deviendra l’Allemagne par la suite. Au milieu de ces deux époques, il aura maille à partir avec les différents gouvernements qui se succéderont de son vivant.
Dramaturge, romancier, personnalité politique et homme de lettres, il s’est d’abord fait connaître comme l’un des chefs de file du romantisme français. Comme écrivain, il a connu son premier succès en France avec le roman Notre-Dame de Paris (1831). La pièce de théâtre Cromwell (1827) le consacre comme dramaturge et reste, jusqu’aujourd’hui, une référence pour les metteurs en scène. Ce qui bouleverse, diront les critiques, c’est qu’il casse les conventions classiques en ne tenant pas compte de l’unité de temps et de lieu. En somme, il révolutionne le genre tout comme Pierre Corneille l’avait fait avant lui dans sa pièce Le Cid (1637), ou encore Jean Racine avec Andromaque (1667).
Mais ici, c’est au poète, auteur du recueil de poésies Les Rayons et les Ombres (1840), que nous nous intéressons. Il sera favorable à la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte [1], après la révolution de 1848 qui mit fin à la monarchie de Juillet, afin qu’il obtienne l’investiture en tant que président de la Deuxième République. Hugo sera ensuite élu député à seulement 38 ans ; néanmoins il se détournera ensuite de Louis-Napoléon après sa dérive totalitaire en 1851, date à laquelle il souhaite instaurer le Second Empire.
Son parti pris pour le système républicain l’oblige à s’exiler à ce moment-là, d’abord en Belgique, puis dans les îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey. C’est dans celle-ci qu’il puisera son inspiration pour écrire ses plus grands chefs-d’œuvre : Les Contemplations (1856), Les Misérables (1862), Les Travailleurs de la mer (1866), et enfin L’Homme qui rit (1869).
À travers son exil, deux questions se posent naturellement : comment a-t-il pu conjointement faire de son exil un contre-pouvoir, en rédigeant ses meilleures œuvres tout en s’engageant à quitter la France bonapartiste ? Mais aussi, comment son aura a-t-elle réussi à ne pas se ternir, malgré dix-neuf ans d’exil, voire à s’amplifier dès son retour en France en 1870 ?
Hugo : l’exil comme contre-pouvoir
Afin de lutter contre le coup d’État effectué par Louis-Napoléon, le 2 décembre 1851, la même date que celle où Napoléon 1er s’était fait couronner empereur, Victor Hugo a choisi de quitter la France pour résister et conserver les acquis de la Seconde République. Cet affront contre l’installation du Second Empire aura pour conséquence le bannissement définitif du célèbre poète et de 65 autres députés.
Courroucé par l’agissement de Napoléon III, Victor Hugo rédigea en Belgique [2] un pamphlet contre celui-ci s’intitulant Napoléon, le petit (1852). La violence de sa publication entraîna les autorités belges à l’expulser du pays.
Ce sont finalement deux îles anglo-normandes qui vont l’accueillir. Commençant son périple à Jersey, Victor Hugo continuera de réagir contre les agissements de l’Empereur, dans un premier temps au niveau politique ; il protestera contre sa venue à Londres et adressera une lettre à Louis Bonaparte pour exprimer son mécontentement.
Considérant que la Reine Victoria d’Angleterre valide le système politique instauré en France lors de sa visite à Paris, il décide de lui écrire une lettre ouverte. Les autorités anglaises n’apprécieront pas son acte et l’expulseront à leur tour.
C’est dans ce second temps, lors de son installation à Guernesey, qu’il continuera à agir par le biais de l’écriture cette fois. Cette nouvelle implantation jouera un rôle crucial dans l’œuvre de Victor Hugo. C’est depuis sa maison de Hauteville House [3] , qui est désormais un musée en rénovation, qu’il rédigera son recueil Les Contemplations, qu’il avait déjà commencé à travailler entre quelques séances de spiritisme chez Delphine de Girardin [4] . C’est notamment grâce à ces séances que lui viendra le nom de son recueil : en effet, la contemplation et l’observation sont une étape primordiale avant de pouvoir s’exprimer sur un sujet. Il parviendra à le faire publier en France et en Belgique. Grâce au succès de celui-ci, et à l’argent obtenu, le poète pourra racheter la maison et l’aménager à sa guise. Le recueil traite de différents thèmes : l’amour, la nature, le deuil, en lien avec le décès prématuré de sa fille Léopoldine, à la suite d’une noyade dans la Seine, le 4 septembre 1843. Il lui rédigera alors le poème Demain, dès l’aube… :
« Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer, loin de toi si longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au-dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur ;
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. »
On peut dire que le recueil des Contemplations [5] perpétue le lyrisme de ses œuvres passées, comme Les Rayons et les ombres, mais qu’il constitue également une scission avec ce lyrisme, la deuxième partie du recueil étant plus ombrageuse, annonçant une poésie plus obscure. À partir de cette période, sa prose poétique prendra une autre tournure que celle précédemment utilisée, comme si l’exil avait su faire, tel le phénix, renaître de sa plume un nouveau style d’écriture.
Mais c’est surtout à travers ses romans qu’il continuera à mener son combat, notamment dans Les Misérables, roman social, politique et historique. Pour éviter la censure, il base son intrigue entre le Premier Empire et l’insurrection républicaine qui a eu lieu à Paris, en 1832 ; sorte de pied de nez à Napoléon III.
S’ensuivront Les Travailleurs de la mer, qu’il écrira pour rendre hommage aux habitants de Guernesey et à la mer, symbole de liberté en période d’exil. Cet ouvrage ouvrira la voie à ceux que l’on nomme les écrivains voyageurs et qui lui succéderont, sorte de transmission ; parmi eux Jules Verne, Pierre Loti ou encore Joseph Conrad [6] , auteur anglais qui, avec son œuvre Typhon (1918), parviendra à créer les points cardinaux de la prose environnementale en fusionnant l’air, le ciel, l’eau et la mer.
L’Homme qui rit sera son dernier ouvrage écrit à Guernesey en 1869, la défaite de Napoléon III à Sedan et la Commune de Paris l’appelant vers son destin politique.
Hugo : le retour triomphal de l’exilé
Si pour beaucoup l’exil est un voyage sans retour, il en est différemment en ce qui concerne Victor Hugo. En effet, après son retour en France, les Parisiens lui firent un accueil triomphal.
Après l’épisode de la commune, il soutiendra le gouvernement de la Défense nationale pour assurer la sécurité du pays.
Il sera ensuite élu député de la Troisième République en 1871, avec Adolphe Thiers comme président. Mais, devant l’impossibilité de voir son ami Garibaldi rejoindre l’Assemblée nationale (alors qu’il avait participé à « l’Expédition des Mille » [7] qui avait permis à l’Italie de s’unir définitivement en tant que nation après le Printemps des Peuples [8]), il démissionne, comme si l’exil se matérialisait en lui comme un refus de l’injustice qu’il a dénoncée tout au long de son œuvre littéraire et à travers ses actions.
Après cette période, il continuera d’écrire, mais moins qu’auparavant, comme si ses idées avaient pris le large pour trouver un meilleur moyen d’expression par la politique. Il continuera à écrire quelques recueils poétiques, comme La Pitié suprême (1879), Les Quatre Vents de l’esprit (1881), son dernier étant — et le titre est prémonitoire — La Légende des siècles (1883).
Il sera élu sénateur en 1876, mais passe beaucoup de temps avec ses deux petits-enfants, dont il assure l’éducation, ce qui lui donnera la matière nécessaire pour rédiger le recueil de poèmes L’Art d’être grand-père.
Selon la légende, quelques jours avant son décès, il a écrit une note où il est inscrit « Aimer c’est agir » [9] : de son exil pour des raisons politiques et ses différents combats en faveur de la justice, jusqu’à son retour triomphal dû aux contraintes son éloignement de la France, n’a-t-il pas lui-même su incarner ces derniers mots ? En étant dans l’action pour défendre les valeurs républicaines, n’a-t-il pas suffisamment montré son amour pour la République ?
Il aura su démontrer, mieux que quiconque en France, que les mots, lorsque Hugo revêtait son costume d’auteur, n’empêchent pas la parole du politique qu’il fut d’être tout aussi retentissante lorsqu’il s’agit de défendre ses idéaux.
Sans son exil, sans doute que son amour et son engament pour la liberté auraient eu moins d’échos, ses actions n’ayant alors pas rejoint ses paroles.
Pour son enterrement, deux millions de personnes étaient présentes. Son cercueil a été exposé sous l’Arc de Triomphe [10] avant d’être transféré au Panthéon.
Hugo n’a jamais véritablement cherché son public, il s’émancipait de toutes formes d’injustices et ce n’est pas un hasard si le poète a dû s’exiler pour ses pensées aussi lointaines que celles des tyrans. Pourtant, à sa mort, il est l’auteur le plus populaire de France et d’Europe, et cela sans jamais avoir cédé aux sirènes des différentes tendances artistiques, préférant le phare de l’exil aux chaînes du détenu.
Gaspard Rambel
1. Victor Hugo et Napoléon III (radiofrance.fr)
2. Le saviez-vous : Victor Hugo s’était réfugié en Belgique pour fuir Napoléon III – rtbf.be
3. Maisons Victor Hugo | Guernesey (paris.fr)
4. Spiritisme : quand Victor Hugo invitait à sa table Jésus, Mahomet et Molière (4/5) | TV5MONDE – Informations
5. Etude Des Contemplations de Victor Hugo | PDF | Victor Hugo (scribd.com)
6. Joseph Conrad : « Typhon », ou la tempête intérieure | Atlantico.fr
7. CAVOUR/GARIBALDI – Héros de l’Unité Italienne (lepetitjournal.com)
8. Quand Napoléon III se mêlait d’Italie (lepoint.fr)
9. « Aimer, c’est agir » Derniers mots écrits par Victor Hugo | Victor hugo, Sayings, Paris (pinterest.com)
10. L’enterrement de Victor Hugo en 1885 : ils y étaient (radiofrance.fr)