L’Union européenne peut-elle devenir une Europe de la culture ?

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Dans un discours public, la byzantiniste et ancienne rectrice de Paris Hélène Archweiler aurait indiqué que si Jean Monnet vivait encore, il aurait pu s’écrier : “Si c’était à refaire, je commencerai par la culture”. Cette citation, parfois attribuée faussement à ce père de l’Europe, témoigne de la volonté de donner un socle plus solide à la construction européenne. Grâce à leur culture partagée, les peuples européens s’engageraient dans une entreprise plus pérenne et plus forte que celles de liens purement économiques.

Dans l’histoire de la construction européenne, pourtant, la culture a souvent été la grande oubliée. Si l’Union s’est dotée d’une compétence en la matière en 1992, les actions qu’elles mènent dans ce domaine paraissent encore discrètes. Les langues, coutumes et histoires nationales agiraient comme des obstacles à ce projet pour certains fédéralistes. Pour d’autres observateurs, cependant, elles pourraient être les forces vives d’une future coopération culturelle sur le continent.

Depuis sa création, l’Union européenne (UE) a longtemps été confinée au rang de puissance économique. Le rapprochement culturel des peuples européens s’est donc introduit ces dernières décennies par de nouvelles similarités dans les modes de vie ou dans la consommation. La voiture individuelle et la consommation de masse en sont des exemples patents. Mais le Vieux continent partageait déjà depuis plusieurs siècles un grand héritage. La chrétienté, l’humanisme, l’État-nation et la démocratie libérale ont tour à tour façonné le monde européen. Parties du même squelette, les nations européennes ont répandu en leur sein des cultures diverses : l’art Al-Andalus espagnol, les peintures de la renaissance italienne, la littérature française, la musique classique allemande, la mythologie scandinave, la philosophie grecque. Reliées entre elles, ces cultures nationales rendent possible une “unité dans la diversité” comme le proclame la devise de l’Union. Elles permettent à l’Europe d’être juchée à la première place des continents les plus touristiques. Elles ont permis en outre l’essor d’un large florilège de trésors d’architectures dont la plupart sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Depuis 1992, l’UE envisage de promouvoir cette richesse culturelle. Le traité de Maastricht est venu doter les institutions européennes d’une compétence à cette fin. L’article 167 du traité sur le fonctionnement de l’UE évoque “la mise en évidence de notre héritage culturel commun” et“ l’amélioration de la connaissance et de la diffusion de la culture et de l’histoire des peuples européens”. Néanmoins, comme le révèle l’article 6 du traité sur l’UE, la culture ne demeure qu’une compétence de coordination. L’UE appuie les actions des Etats membres sans jamais les initier. L’ancien député européen et conseiller spécial de Michel Barnier, Phillipe Herzog, explique cette faiblesse par le fait que l’Union se soit érigée sur la promesse d’un marché commun avec la concurrence pour règle centrale. L’organisation européenne manquerait, selon lui, de solidarité et de coopération : des valeurs indispensables au partage culturel. Les institutions européennes ont toutefois pu agir dans le secteur : Journées européennes du patrimoine, programme de financement de la culture Eurocréativ, exception au libre-échange pour les biens culturels. L’UE a même déployé une directive dite “SMA” (service des médias audiovisuels). Cette dernière oblige les plateformes de diffusion numériques (Netflix, Amazon prime…) à proposer au moins 30% d’œuvres culturelles européennes dans leurs offres. Pour la journaliste au Journal des Arts Véronique Peillon, ces entreprises sont louables mais la culture reste “la parente pauvre de l’Europe”. L’enveloppe dédiée à ces politiques ne représente que 0,5 % du budget de l’UE. Le programme Erasmus et le FEDER (Le Fonds européen de développement régional) peuvent intervenir indirectement pour financer des voyages et des projets de créations artistiques. Mais ces initiatives ne suffisent pas à faire bâtir une Europe de la culture selon la journaliste. Les États membres restent les maîtres d’œuvre de leur politique culturelle. Et la diffusion des histoires et coutumes nationales s’étend difficilement.

En dépit des progrès réalisés, les nations européennes ne connaissent pas encore parfaitement le patrimoine, l’histoire et les mœurs de leurs voisins. Certaines statistiques le démontrent. Les européens voyagent à plus de 50% dans leur propre pays ou partent dans un pays adjacent. Un sondage Eurobaromètre de 1999 indique au surplus que seuls 6% des citoyens du continent associent l’appartenance européenne à leur appartenance nationale. L’idée d’Europe est aussi peu enseignée. Environ 30 % des étudiants à l’université déclarent n’avoir jamais reçu une information sur l’Union européenne dans leur parcours scolaire.

Pour rapprocher les peuples européens, plusieurs appels ont déjà été lancés mais la plupart sont aujourd’hui restés lettre morte. En 1919, Paul Valery, a convié les peuples à se ressembler autour de Rome, des Lumières et du christianisme. Ce qu’il a nommé “notre culture commune”. L’écrivain a plaidé pour ancrer dans le passé le développement futur de l’Europe. Dans les années 1920, Richard Coudenhove-Kalergi, fondateur du mouvement Paneurope, quant à lui, a exhorté le continent à se réunir sous une langue commune pour faciliter les échanges culturels et pacifier les tensions latentes. Qu’elle soit un espéranto ou anglaise, la langue commune aurait été pour lui le véhicule de sentiments partagés. Une occasion d’exprimer en des termes identiques des traditions culturelles diverses. D’autres protagonistes de la construction européenne, comme le général De Gaulle, ont affirmé d’autres idées, davantage tournées vers la coopération culturelle que d’une marche vers l’unification des langues et des traditions. Pour ce dernier, “on ne fait pas une omelette avec des peuples, avec des histoires, avec des langues comme on mélange des oeufs”. Ces dissensus de méthodes expliquent en partie le peu d’initiatives qui sont aujourd’hui accordées à l’Europe de la culture.

Comme l’affirmait Jacques Delors, l’Union européenne a besoin d’une âme pour susciter l’adhésion des citoyens. L’essor de cette âme européenne devra-t-il passer par un compromis entre les différentes offres culturelles que propose chaque État membre ?

Enric Rif

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