L’Union européenne, un réveil en dilletante ?

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Au lendemain de la rencontre entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump à Washington, le 28 février 2025, il semblait qu’un séisme, dont l’Europe n’avait pas encore mesuré les conséquences, venait de se produire. Cet événement a bouleversé l’équilibre des relations entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis, équilibre instauré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale par le Traité de Washington, signé en 1949[1].

Par la suite, de nombreux mécanismes de contrôle et de médiation ont été mis en place pour garantir la bonne application de cet accord. Parmi eux, on peut citer les principales institutions internationales telles que l’ONU, l’OTAN ou l’OMC. Durant cette période, celles-ci se sont vues menacées par la perspective d’une probable fin du dialogue transversal entre les puissances de l’Ouest.

Un constat amer

À cette date, la première démocratie du monde venait d’humilier, devant la terre entière, le bouclier de celle-ci en Europe. Le cynisme allant jusqu’à reprocher au président ukrainien de ne pas porter de costume, sous les rires gras des conseillers du représentant de la Maison-Blanche.

Certains observateurs ont pu dire que c’était un mal pour un bien, car, officiellement, c’est à partir de ce moment-là que l’Union européenne a entériné sa volonté de ne plus nier le danger que représentait Poutine. En témoignent les articles de journaux antérieurs où n’arrivaient pas encore aux plumes des rédacteurs les termes « menace », « guerre » concernant les États membres. Ils ne franchissaient pas non plus les lèvres des responsables politiques de l’époque, le conflit semblait encore loin.

Tout a changé le 28 février 2025, l’Union européenne a pris les mesures nécessaires afin de doter les États membres d’un arsenal militaire et budgétaire suffisant pour se préparer à un probable affrontement. Le narratif dans les médias s’est mué de contemplatif à guerrier. Les chefs d’État n’hésitaient plus à utiliser le terme de « Troisième Guerre mondiale »[2][3].

Si l’on se penche en arrière pour regarder dans l’Histoire, que ce soit avant 1914 ou avant 1939, cela n’a jamais été de bon augure.

C’est à la suite de cette réunion piège du 28 février 2025 que les alliés européens, privés de l’aide américaine, et donc dos au mur, ont décidé de se réunir à Londres afin de garantir à Kyiv leur soutien indéfectible. Quelques semaines plus tard, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, annonçait l’obligation pour chaque État membre d’augmenter le budget consacré à la défense de 3 à 5 % du PIB[4]. Une enveloppe de 800 milliards d’euros[5] a par la suite été débloquée afin de remilitariser l’Europe.

Deux semaines plus tard, le 11 mars 2025 à Riyad[6] (Arabie Saoudite), et malgré les réactions outrées des observateurs internationaux, Volodymyr Zelensky a tout de même accepté la proposition de Donald Trump d’un cessez-le-feu inconditionnel. Une partie de ping-pong sans fin s’est alors engagée entre diplomates des deux camps. Chaque manche à l’initiative du Kremlin ne faisait que reporter le résultat final attendu : une paix juste et durable.

Poutine n’a eu de cesse d’enchaîner les déclarations dilatoires, pendant que ses troupes continuaient de bombarder des civils ainsi que des infrastructures stratégiques dans tout le reste de l’Ukraine.

Au mois de mai 2025, les frappes sur Kyiv se sont faites de plus en plus intenses et redoutables. Le mois de juillet suivant l’a confirmé et a enregistré un record en termes de bombardements de drones et de missiles sur tout le pays.

Cette séquence historique, où les États-Unis ont clairement choisi de souffler le chaud et le froid avec leurs alliés traditionnels, a culminé lors du sommet du 14 août 2025 à Anchorage, en Alaska. Poutine s’est vu recevoir avec les honneurs : on lui a déroulé le tapis rouge, et la garde nationale américaine s’est mise au garde-à-vous devant lui. Dans la même période, des civils ukrainiens mouraient sous le déluge de feu du Kremlin.

Washington a tenté de sauver la face en invitant Volodymyr Zelensky le 18 août 2025, accompagné d’une délégation de présidents, dont Emmanuel Macron. Néanmoins, l’échange est resté secret et rien de concret n’en est sorti, hormis des engagements qui attendaient d’être dévoilés aux yeux du monde.

C’est lors du sommet des Alliés, organisé à Paris le 4 septembre[7], que ces engagements ont eu l’occasion d’être révélés au grand jour.

Sur les 35 pays participants, 26 ont d’ores et déjà indiqué la nécessité d’un soutien sur terre, sur mer et dans les airs concernant Kyiv. Ces pays se sont également engagés à envoyer des forces de réassurance si un cessez-le-feu ou un traité de paix entre l’Ukraine et la Russie venait à aboutir.

Assistions-nous à une énième conférence dont les paroles ne seraient pas suivies d’effets ? Ce ne serait pas la première fois : sur les 19 paquets de sanctions infligées à Moscou, certaines concernent le domaine énergétique. Cela n’a pourtant pas empêché le gouvernement français de donner son aval à un projet de centrale nucléaire en coopération avec la société Rosatom, prévu en Hongrie en 2023[8]. Tout cela pour un montant de 5 milliards d’euros, soit le total de l’aide financière allouée à l’Ukraine par Paris depuis 2022. Heureusement, la décision du 11 septembre 2025 de la Cour de justice de l’Union européenne[9] est venue invalider, en partie, cet accord : la part approuvée en faveur d’une aide d’État hongroise, concernant la pose de deux réacteurs nucléaires sur ce site, a été annulée.

De son côté, et dans la continuité de la guerre hybride que Poutine mène aux puissances de l’Ouest, on a pu noter depuis septembre que le Kremlin n’a de cesse de tester la fiabilité de l’article 5 du Traité de l’OTAN. Celui-ci indique que « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, (…) assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. (…) ».

Cela s’est traduit par le survol de drones russes à l’intérieur de l’espace aérien polonais. L’aéroport de Varsovie a dû être fermé pendant plusieurs heures, et des chasseurs ont abattu les drones qui refusaient de repasser la frontière. Le même scénario s’est produit en Roumanie le 15 septembre 2025. Malgré ces atteintes flagrantes à la souveraineté de ces États, seul l’article 4 du Traité de l’OTAN a été activé. Il permet aux parties de se consulter « chaque fois que, de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité (…) sera menacée. ».

Analyse neutre et pragmatique

Essayons d’analyser cela d’un point de vue neutre et pragmatique.

L’Union européenne, l’OTAN ainsi que les États-Unis, ont un meilleur intérêt à laisser les deux belligérants, l’Ukraine et la Russie, s’épuiser en hommes et en stocks d’armement tout en se préparant à un probable conflit. Cette zone de guerre, osons le terme même si c’est désespérant, semble agir comme un laboratoire pour un possible affrontement à venir.

Plusieurs indices peuvent nous faire penser cela :

  • Les programmes de formation de militaires ukrainiens par des officiers de l’OTAN sont en réalité bien plus formateurs pour les armées de l’Ouest que pour les régiments de soldats ukrainiens qui, eux, sont sur le front depuis février 2022. Ils sont rompus aux nouvelles techniques de combat et maîtrisent le maniement des drones. Au début, ils avaient la taille d’un simple jouet (ceux qui ont survolé l’aéroport de Copenhague par exemple et qu’on peut acheter en magasin), depuis, ils peuvent transporter des explosifs capables de détruire un immeuble, simplement en maniant une console depuis une tranchée. Le groupe Lasar mené par un ancien producteur de télévision (Pavlo Yelizarov) l’a prouvé, avec de simples drones, il a détruit pour 12 milliards de dollars d’équipements russes. Un article de Forbes relate son parcours et celui de sa brigade.

  • La livraison au compte-gouttes des armes depuis l’administration Biden (cf. article Gleb Dolianovskiy[10]).

  • Le double langage des diplomates européens et étatsuniens en matière d’échanges commerciaux (l’exemple donné un peu plus haut concernant le projet de centrale nucléaire en Hongrie, avec pour maître d’ouvrage Rosatom, en est la preuve).

Il faut également souligner que cette guerre est révolutionnaire à plusieurs égards :

  • En ce qui concerne la volonté du peuple ukrainien, qui parvient à tenir tête à une armée supérieure en nombre et qui possède l’arme nucléaire.

  • Par le matériel militaire utilisé pour combattre :

En effet, la Première Guerre mondiale a vu l’avènement des canons à longue portée et des mitrailleuses, reléguant le simple fusil au second plan ; la Seconde Guerre mondiale les a supplantés avec les chars et les avions de guerre (la Blitzkrieg en est un parfait exemple).

Si une Troisième Guerre mondiale éclate, ce seront les drones qui seront au cœur de l’offensive. Un officier m’a confirmé qu’avec un seul de ces appareils, une unité de deux ou trois personnes suffit désormais pour prendre une position, alors qu’il fallait, auparavant, une unité de quinze soldats. Il est donc difficile, dans ces conditions, de comprendre le choix de la Pologne d’avoir acheté 350 chars en août 2025, alors que le même nombre de drones, voire moins, peut les abattre à distance, depuis une manette qui ressemble à celle des consoles de jeux (l’exemple du groupe Lasar cité plus haut en est la démonstration). Un scénario similaire à septembre 1939 pourrait être à craindre pour Varsovie, si Kyiv tombe. L’avènement des drones a révolutionné la manière de faire la guerre, tout comme l’informatique l’avait fait lors de la Seconde Guerre mondiale, avant d’être adoptée dans la vie civile.

Que faire ? Proposition de solutions

Faut-il rester pragmatique et accepter cet état de fait ? Faut-il considérer l’Ukraine comme un « laboratoire » permettant à l’Occident de recueillir suffisamment d’enseignements dans tous les domaines, en espérant qu’une fois ces données collectées, la recherche d’une paix juste et durable devienne enfin la priorité réelle des décideurs européens et américains ? Ce serait contre-productif, sauf si un miracle accouchait d’un cessez-le-feu.

L’autre alternative est de proposer des solutions au niveau de l’Europe de la défense.

Déclaration Schuman, 1950 : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans les efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. »

À sa décharge, et c’est là le point névralgique, le nœud gordien du problème qui ralentit les prises de décision à Bruxelles : l’Union européenne a été créée pour faire la paix, non pour faire la guerre. Cela pourrait ainsi expliquer le temps qu’elle met à opérer sa transformation afin de protéger les démocraties dans un monde qui a changé depuis 1945. La France n’a pas connu de guerre sur son sol depuis 80 ans.

Face à de nouveaux périls, les méthodes d’avant s’avèrent inefficaces. Il s’agirait de trouver le juste équilibre dans la répartition des pouvoirs entre le Conseil européen, qui a pris de plus en plus de pouvoir au fur et à mesure des crises financière, sanitaire, et maintenant géopolitique (organe non élu composé des 27 présidents ou premiers ministres des États membres), la Commission européenne (responsable devant l’appareil législatif de Strasbourg) et le Parlement européen (élu par les citoyens de l’Union).

La métamorphose d’une Union inventée afin de créer les conditions de la paix, en une machine juridique et institutionnelle engagée de manière directe ou indirecte dans un conflit prend du temps. Autant pour les élus que pour les citoyens. Cela nécessiterait également de réformer les modalités d’action des organes exécutifs et législatifs de l’Union européenne. Notamment par la mise en commun des moyens diplomatiques et de défense.

Après la crise de 2008, la Banque centrale européenne (BCE) avait été dotée de plus de pouvoirs par l’Union afin d’être en mesure d’endiguer l’inflation et d’assurer la stabilité de l’euro.

Dans le même esprit, pourquoi ne pas créer un organe ad hoc en charge de la gestion de la sécurité militaire de l’Union européenne ? Avec un budget commun voté par l’ensemble des États membres et qui financerait ses actions.

Nous évoquions un peu plus haut l’article 5 de l’OTAN, mais il est important de rappeler que l’UE possède l’équivalent à travers l’article 42.7 du Traité sur l’Union européenne, lequel impose une clause « d’assistance mutuelle » et vient compléter l’article 42.2 qui encadre « (…) la définition progressive d’une politique de défense commune. (…) ».

Des solutions existent et le temps est venu de faire preuve d’imagination.

Dimanche 26 octobre 2025, alors que la plupart des citoyens du monde attendaient de pouvoir changer d’heure, qui au bistrot, qui tranquillement au chaud, Poutine a bombardé Kyiv, entraînant de nouveaux morts, de nouveaux blessés[11].

Un espoir avait jailli en mars 2025 ; il s’agirait de le maintenir afin de ne pas le laisser s’évanouir, à la manière d’une étoile filante dans un ciel qui attend depuis trop longtemps que l’obscurité se dissipe.

Gaspard Rambel

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  11. https://www.ouest-france.fr/europe/ukraine/guerre-en-ukraine-une-attaque-russe-sur-kiev-fait-trois-morts-et-33-blesses-dont-six-enfants-0b17c7b6-b283-11f0-a3b8-6cf5a651f4ac