Le renouveau à travers le prisme des villes

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« Le renouveau c’est maintenant ! » Un tel slogan conviendrait à tant de projets ! De bien beaux mots, une volonté affichée, souvent répétée, mais rarement exécutée.

Le printemps est le symbole incontesté du renouveau, de la renaissance de la nature. Mais que dire du monde des hommes ? Que dire des villes ? Certes la nature est présente en ville, d’une manière ou d’une autre, et tout un écosystème prospère ou survit selon le point de vue et la ville. Le rythme des villes n’est cependant pas toujours le même que celui de nos quatre saisons.

L’amas urbain se construit, se déconstruit et se reconstruit au gré des hommes et des circonstances. 2024 scelle, à de nombreux égards, l’idée même que la ville française entre dans une ère de renouveau. Traditionnellement, le renouvellement urbain définit la reconstruction de la ville sur elle-même. Si le terme existe en France depuis le 13 décembre 2000 avec la célèbre loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain), un flou sur le régime à lui appliquer a demeuré. On a également parlé de revitalisation, de remembrement ou encore de restauration. Il est aujourd’hui communément admis que le renouvellement urbain se compose de trois caractéristiques nécessaires à cette qualification : un objectif de développement durable, un secteur dans lequel de nombreuses opérations s’exercent et une intervention publique directe ou indirecte[1].

Cette définition est loin d’être suffisante pour en comprendre la teneur pratique en 2024. Ces mots nécessitent, afin de ne pas rester seulement des slogans, d’être accompagnés par un système juridique organisé. Tel n’est pas le cas. Le printemps qui nous est promis ne pourra émerger qu’avec un hiver doux, et non trop rude. Celui que le monde de la construction connaît aujourd’hui est sibérien.

Les dispositifs, urbanistiques (I) autant que fiscaux (II), ont pour effet d’éradiquer un nombre impressionnant d’acteurs du monde de la construction. On se demande donc qui restera pour rebâtir la ville.

I — Éradiquer grâce aux dispositifs urbanistiques

La ZAN (Zéro artificialisation nette) commence à se faire connaître auprès du grand public. Ce projet tend à atteindre, à l’horizon 2050, un taux nul d’artificialisation des sols (de nouvelles constructions sur des espaces vierges, agricoles ou forestiers). Ce projet issu de la loi Climat et résilience du 22 août 2021 prévoit, pour ce faire, de réduire de moitié au moins la consommation totale d’espaces par rapport à la période 2011-2021 ! Le problème est toujours le même et nous le connaissons bien : nos pouvoirs publics ne fixent-ils pas des règles inatteignables, ou du moins pas sans de lourdes pertes ? Rappelez-vous de l’indice Crit’air en ville consistant à ségréger socialement ceux qui habitent en ville et ceux qui sont en périphérie, ceux qui ont les moyens et ceux qui ne le sont pas. Rappelez-vous de la fin, adoptée au niveau européen, du moteur thermique en 2035. Imposeriez-vous à votre enfant de trois ans des équations à deux inconnues ? Non, et voilà pourquoi il faut laisser le temps au temps.

Les objectifs de développement durable et de réduction de l’artificialisation des sols sont déjà présents dans notre droit. L’article L. 101-2 du Code de l’urbanisme est on ne peut plus clair sur le sujet : « Dans le respect des objectifs du développement durable, l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme vise à atteindre […] l’équilibre entre […] le renouvellement urbain, le développement urbain et rural maîtrisé, la restructuration des espaces urbanisés, la revitalisation des centres urbains et ruraux, la lutte contre l’étalement urbain ». Ils sont appliqués au niveau local par les choix opérés entre zones constructibles et non constructibles. En conséquence, et d’autant plus avec la loi ZAN, les zones à urbaniser diminuent et leur prix explose. Si leur prix explose, le prix au m2 des nouveaux logements suit la même logique. Il serait bien beau et naïf de croire que le salaire des Français vienne compléter cet enchaînement.

Alors, renouvelons ! Prenons du vieux, démolissons-le, rebâtissons ! Ah !mais pas n’importe quel vieux ! Il y a le vieux protégé d’un côté, et le vieux boomer qu’on ne veut plus de l’autre. Mais les coûts du renouvellement urbain sont démesurés. Il faut démolir, planifier le nouvel aménagement du quartier, prévoir l’adaptation des équipements urbains au projet (routes, écoles, transports en commun, voies et réseaux divers…) et rebâtir en espérant quelques logements supplémentaires à ce qui préexistait.

Tout serait si simple si seulement les pouvoirs publics acceptaient l’idée radicale d’autoriser des plafonds de densité plus élevés, de pouvoir construire plus haut en somme. Le prix du foncier serait compensé par une plus grande rentabilisation grâce au nombre de logements créés en hauteur. Corrélativement le prix du logement serait plus attractif et les plafonnements de loyers n’auraient plus lieu d’être. L’ensoleillement serait préservé par le calcul de la bonne hauteur du bâti en relation avec sa position dans l’ensemble urbain auquel il appartient. La même logique préside lorsqu’une photo de famille s’impose : on ne met pas les adultes devant les enfants.

En bref, les constructeurs sont empêchés de construire en quantité suffisante et nécessaires aux besoins des Français.

II— Éradiquer grâce aux dispositifs fiscaux

La fin du dispositif Pinel à partir de 2024 est vécu comme un traumatisme pour le monde de la construction. Il sera un traumatisme pour l’ensemble des Français dans les années à venir. Dans les grandes lignes, ce dispositif permettait de bénéficier de réductions d’impôts aux acquéreurs de nouveaux biens immobiliers sous de strictes conditions. Au-delà de se trouver en zone de tension locative, le bien devait être loué pour des engagements de location allant de 6 à 12 ans à titre d’habitation principale. Le coût du logement pour l’acquéreur était donc réduit sur les années de location à venir. À ce dispositif plusieurs critiques : le coût pour les finances publiques et l’effet pervers consistant pour les promoteurs à gonfler leurs prix en sachant que l’État viendrait atténuer la facture de l’acquéreur. Ces critiques doivent être nuancées. Le coût pour les finances publiques n’est-il pas la conséquence des bâtons dans les roues que l’État met au monde de la construction ? Le cumul de restrictions plonge depuis des années le monde de la construction dans les abîmes dans lesquels il se trouve. Ces dispositifs fiscaux n’ont été que la contrepartie à ces coûts réglementaires assénés. L’aide disparaît, les coûts restent, avec un effet négatif sur les bénéfices des promoteurs : comment, dans certaines agglomérations, peut-on réussir à encadrer des loyers, et comment ne le pourrait-on pas avec le prix de biens immobiliers ?

Nous assistons en réalité à une nouvelle modulation de la structure même du système de construction et de l’immobilier. La fin du dispositif Pinel marque le début d’un nombre très important de procédures collectives (redressements et liquidations judiciaires notamment) d’entreprises de construction et de promoteurs. Les faillites d’agences immobilières ont doublé en 2023 (plus haut niveau depuis la crise de 2009), les transactions ont diminué de 22 % par rapport à 2022, la Fédération française du bâtiment estime à 90 000 la perte d’emplois dans le milieu immobilier en 2024 et bien plus dans les années à venir. Les 15 heures de travail hebdomadaire imposées aux bénéficiaires du RSA ne suffiront pas à réduire le coût pour les finances publiques de cette catastrophe sectorielle.

Dès lors, ne demeurent que quelques dispositifs fiscaux qui sont orientés sur le renouvellement urbain : MaPrixRénov’, afin de rendre plus habitables des passoires thermiques, ou encore le dispositif Denormandie qui réplique le dispositif Pinel en ce qui concerne l’achat de biens à rénover. Mais ce souhait de renouveler ne peut être atteint que si des génies de l’immobilier peuvent l’exaucer. Or, force est de constater que le métier de la rénovation n’est pas dans l’identité de la grande majorité des acteurs de l’immobilier en France. Les processus sont radicalement différents et aussi souvent bien plus lents.

L’hiver créé par l’actuel gouvernement conduit à bouleverser et mettre à mal tout le secteur de l’immobilier. Le renouveau promis ne peut-il donc se faire qu’avec la destruction de l’ancien monde ? Assurément, non. L’ancien monde est vecteur de savoir-faire, d’expérience et d’intelligence. Le Français ne peut visiblement qu’attendre et espérer que le renouveau, tel que promis, puisse effectivement lui être favorable.

Cassandro Cancellara

  1. V. not. J.-P. Demouveaux, La notion de renouvellement urbain, DAUH 2002, n° 6, p. 125.