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La passion du pavillon 

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« Si l’amour est un péché, punissez-moi, Seigneur ». Voilà probablement la phrase que pourrait répéter le propriétaire ou occupant de ce magnifique bien immobilier situé en zone pavillonnaire dont il profite. Car sa situation est royale, sinon seigneuriale : le pavillon désignait la tente du seigneur en campagne. Luxe, confort, privilège en zone rurale, qu’y a-t-il de mal ? 

Chacun peut être seigneur de son fief de 30, 40 ou 50 m², pourquoi pas ? Il faut le comprendre : les zones urbaines s’accroissent, la densité de population augmente, nos vieilles villes médiévales deviennent impraticables, chaque passage dans une ruelle soumet le piéton aux gaz et autres nuisances des voitures, des autres piétons, des poubelles qui dégoulinent de leur jus concentré, des excréments et autres ravissements issus de nos chers animaux de compagnie, le tout enfermé dans un espace de navigation pas plus large que les épaules avec un vélo qui se fraye un chemin à gauche et une trottinette électrique qui, elle, tente sa chance à droite. 

Partir loin, loin… mais pas trop non plus. L’urbain a son travail en ville ou en périphérie, toutes les commodités offertes pas ces centres commerciaux d’entrée de ville, et la campagne le répugne. Les zones pavillonnaires explosent alors. Le pavillon consiste ainsi en une bâtisse de taille moyenne, d’une qualité moyenne, pour un jardin d’une superficie moyenne, dans une ville d’importance moyenne, et pour une famille moyennement grande avec des revenus moyennement élevés. En somme, la quintessence de la « moyennisation » de la société française. 

Mais, bientôt, le Français moyen n’aura plus les moyens de son ambition de vivre une vie moyenne en pavillon ! Les priorités changent et le constat est là : si tout le monde devait agir comme le pavillonnaire, nous n’aurions plus assez d’une planète ! Cet habitant artificialise les sols, il est égocentrique en voulant s’approprier pour lui tout seul ce lopin de terre. L’étalement urbain trouve son incarnation physique dans ce pavillonnaire qui refuse de vivre dans un immeuble entouré, au plus près, à quelques centimètres à peine (selon l’épaisseur des murs) de ses semblables. 

La gloire ne dure qu’un temps. Comment a-t-on pu faire l’éloge du pavillon, et aujourd’hui le dénigrer ? Convergence de toutes les passions, le pavillon est né et s’est épanoui dans l’après-guerre, et il est aujourd’hui décrié dans la guerre contre les atteintes à l’environnement. 

Une passion d’après-guerre 

Le phénomène de « pavillonisation » des espaces périurbains se réalise via des mouvements d’exode rural, et des mouvements d’exode urbain. 

En premier lieu, le phénomène d’exode rural est né, ou du moins s’est accru, après la Première Guerre mondiale. Pour Le Corbusier, ces périphéries pavillonnaires « sont les descendantes dégénérées des faubourgs ». Dans les années vingt, de petites constructions précaires commençaient à s’élever pour permettre aux travailleurs des usines de s’y reposer s’ils n’avaient eu le temps de pouvoir rentrer dans leurs habitations principales situées dans les campagnes. Progressivement, la cabane secondaire se transforma en habitation principale. 

La Seconde Guerre mondiale terminée, il était désormais temps de reconstruire. Quoi de mieux durant les Trente Glorieuses que de construire du pavillon ? Le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, épaulé par les architectes de son temps, se mit à privilégier le développement de ces espaces. Les moyens juridiques se déployèrent : libéralisation du crédit, aides financières, développement du marché immobilier du pavillon…  

L’exode rural battait son plein et, un temps, les barres d’immeubles furent perçues, dans l’esprit collectif, comme le symbole de la modernité. Le rêve était beau, mais le retour à la réalité brutal. Parquer des familles dans des enclos ne produisait pas de classe moyenne, mais aboutissait au produit ultra transformé et peu recommandé : le Français de classe populaire. Le piège se refermait, il fallait alors fuir cette trappe économique et sociale. 

Mais en 2020, nous étions aussi en guerre selon les mots de notre président. Ni une ni deux, les villes « se vident » (toute proportion gardée). Le Parisien se rend compte de l’étroitesse de sa ville après avoir constaté l’étroitesse de son appartement dans lequel on l’a cloîtré. Autant se reclure en moine. Il est curieux de voir que cette guerre intérieure aux villes, cette guerre où chaque proche peut être un pestiféré, amène à vouloir s’en éloigner jusqu’en périphérie. Cet exode urbain se constate dans les grandes métropoles (Paris, Lyon, Bordeaux…). Il est favorisé par les possibilités accrues de télétravail et par le développement de la mixité sociale et économique dans les périphéries où les commodités du quotidien, de même que les services et équipements publics, se rapprochent de des espaces pavillonnaires. 

Les grandes lignes de ce mouvement des lieux de vie se synthétisent donc de la sorte : la ville est attrayante pour les espaces ruraux, la ville devient un repoussoir pour les urbains. La périphérie enfle grâce à son attractivité, et il va sans dire que nombre de propriétaires de SUV à Paris gonfleront bientôt les rangs de ceux que la Ville de Paris a rejetés. Rejetés, ils le sont encore par le dénigrement dont ces miséreux font l’objet : le pavillon n’est plus soutenable au regard des enjeux écologiques. À ce rythme, autant interdire les SUV… 

Une passion hypocritement dénigrée  

L’Homme est paradoxal. Tout est donc affaire de proportionnalité.  

La problématique est simple : comment protéger les terres non artificialisées (espaces naturels, agricoles et forestiers) tout en protégeant les centres-villes historiques qui sont des perles de patrimoine, tout en faisant passer la pilule à l’habitant.  

Le Code de l’urbanisme, lui-même développé par les plans locaux d’urbanisme, protège le patrimoine architectural et immobilier de presque tous les centres-villes français. Les fameux plans de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) interdisent presque toute modification des immeubles situés en centres-villes. Point question donc de développer la densité urbaine en créant des gratte-ciels à l’américaine pour y placer du logement. De toute façon, de tels travaux nécessiteraient de revoir totalement les équipements publics de quartiers entiers pour faire face à l’afflux de population (routes, écoles, voies et réseaux divers, services publics…) : la France n’en a plus les moyens. 

De l’autre côté, il n’est plus question non plus d’urbaniser de manière diffuse en créant du pavillon. La loi Climat et résilience du 22 août 2021 a résonné comme une bombe dans de nombreux secteurs d’activité en France : d’ici à 2030, elle prévoit de réduire de moitié au moins la consommation totale d’espaces par rapport à la période 2011-2021. Elle prévoit également d’atteindre la ZAN (zéro artificialisation nette) d’ici à 2050. Alors, où construire pour loger les populations ? 

Le lecteur le comprend donc : l’urbain est pris en embuscade par la protection de la pierre ancienne qui le maintient immobilisé dans le dos, et par la protection de l’environnement qui lui assène des coups dont il aura du mal à se relever. Le rural, lui, est entravé dans sa quête urbaine. Les prix des zones périphériques augmentent, car le foncier y devient rare. Paris ne sera accessible qu’en tracteur, et encore… 

Quelle solution se dessine alors ? Construire sur l’ancien. En premier lieu, nombre de bâtiments sont aujourd’hui insalubres et donc non exploités. Les promoteurs, avec la fin du dispositif Pinel, ne peuvent plus espérer construire du neuf. Le gouvernement peine à reproduire un réel dispositif Pinel axé sur la rénovation et la réhabilitation, faute de moyens à la hauteur. Seuls les plus performants pourront s’atteler au problème du logement en France. En second lieu, l’idée avance de forcer les propriétaires d’immeubles vacants à les garnir en résidents. La solution française est toute tracée : taxer les maisons secondaires. Enfin, densifier les espaces que l’on peut modifier ; en somme, démolir pour rebâtir plus haut, à la fois en centre-ville et en zone pavillonnaire. 

L’habitant du pavillon est donc destiné, à terme, à retrouver les voisins immédiats qu’il avait en partant de la ville, partager son jardin comme on partage un jardin public, partager la route encombrée de crottes de chien, trottinettes électriques, et payer son stationnement de parking public au prix fort, car son SUV est encombrant. 

Force est alors de constater que la raréfaction du foncier entraînera mécaniquement la hausse du prix nécessaire à l’accession, et la hausse des loyers pour le locataire. La passion du pavillon n’aura duré qu’un temps comme toutes les passions. 

Cassandro Cancellara