Belgique : Le plat pays au bord de l’implosion ?

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Les élections législatives qui auront lieu le 9 juin, en même temps que les Européennes, vont faire l’objet d’une attention particulière. Ce petit royaume joue un rôle de première importance sur l’échiquier mondial ; le fait que l’Union européenne ainsi que l’OTAN aient choisi ce territoire pour y établir leurs sièges principaux en témoigne. Selon les derniers sondages, les partis nationalistes flamands n’ont jamais été aussi près d’une majorité régionale séparatiste qui pourrait, le cas échéant, déboucher sur une scission de la Belgique.

UN PEU D’HISTOIRE.

Le mot Belgica fit son apparition du temps de la Gaule, dont elle devient une province regroupant diverses tribus parfois très différentes. Les Belges, redoutables guerriers et travailleurs infatigables, eurent l’honneur d’une parole devenue célèbre : De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves [1]. Les troupes romaines y subirent une de leurs plus grandes débâcles sous le commandement du héros national Ambiorix[2]. Au fil du temps, la Belgique paya cher sa position géographique au carrefour de plusieurs civilisations. Elle a gagné progressivement le surnom de « couloir aux trente conquêtes », peu flatteur, mais révélateur de sa position à cheval entre deux grandes zones d’influence européenne : la France à l’ouest et les Pays-Bas, ou de langue germanique, à l’est.

En 1815, l’Angleterre, l’Autriche, la Prusse et la Russie s’entendent pour attribuer la Belgique aux Pays-Bas afin d’empêcher une nouvelle invasion napoléonienne. Une union qui ne tient que 15 ans du fait notamment des différences religieuses, le nord étant protestant et le sud catholique. L’élément déclencheur fut une crise économique en 1830 qui déboucha sur une révolution. La légende veut que la Belgique naquît sur un malentendu, sorte d’enfant non voulu, mais indispensable à l’équilibre des nations européennes. L’opéra de la Monnaie jouait la « Muette de Portici »[3] dans laquelle les acteurs criaient « C’est la révolution » ; les badauds entendant ces paroles crurent à la vraie révolution et prirent les armes afin de chasser l’occupant néerlandais. Vladimir Poutine déclara récemment que l’indépendance belge fut facilitée par la Russie[4]. Une affirmation fausse. Au contraire le tsar Nicolas Ier, furieux que l’arrangement de 1815[5] soit brisé, envoya des troupes vers la Belgique, lesquelles furent arrêtées par une insurrection à Varsovie. C’est donc la Pologne qui, sans le vouloir, décida du sort de la Belgique. Un roi issu de l’aristocratie prussienne fut installé : l’Angleterre reçut des garanties et la France vit d’un bon œil l’arrivée de ce nouvel état neutre à ses frontières nord.

La Belgique a ensuite traversé l’histoire comme le reste de l’Europe, au gré des guerres et des crises économiques, vivant de son industrie charbonnière et métallurgique. Une ombre ternit cependant ce portrait : le passé colonial en Afrique. À l’initiative du roi Léopold II, la Belgique a imposé aux populations congolaise et rwandaise un régime dictatorial extrême, basé sur la surexploitation des richesses naturelles, ainsi que la différence des races. Ce sujet est encore tabou et sensible d’Anvers à Bruxelles, bien que des excuses officielles et des commémorations aient eu lieu depuis.

En 1947, la Belgique fonda le Benelux avec les Pays-Bas et le Grand-Duché de Luxembourg : cette union fit germer l’idée d’une Communauté européenne dont elle fut d’ailleurs un membre fondateur.

L’ÉLECTION DE TOUS LES DANGERS ?

Au vu de son importance géopolitique, il est difficile d’imaginer que le pays est malade. La cohabitation politique n’y a jamais été un fleuve tranquille. Jadis, la Wallonie était prospère à un point tel qu’y naquirent les premières velléités sécessionnistes. Ses industries portaient la nation et la langue française était d’usage dans l’aristocratie flamande. Le vent a bien tourné depuis, les usines de métallurgie et les mines de charbon ont fermé, intervalle dont la Flandre a intelligemment profité afin de parier sur des industries du futur.

Des tensions entre communautés, comme l’épisode des Fourons en 1983[6] ou Hal Vilvoorde[7] dans les années 2000 ont toujours existé, mais elles étaient davantage axées sur la frontière linguistique. À présent, elles engagent l’avenir existentiel de la Belgique. Les structures institutionnelles belges sont compliquées et cela s’est vu récemment lors d’une crise politique majeure qui a laissé le pays plus de 600 jours sans gouvernement[8]. Le gouvernement fédéral gère entre autres l’institutionnel, la défense nationale, la police, la santé publique, les relations internationales ainsi que les transports.

Le système politique et administratif belge se divise entre communautés, régions, provinces et arrondissements administratifs[9]. Les trois communautés (néerlandophone, francophone et germanophone) ont compétence sur le sport, l’enseignement, les médias alors que les trois régions (flamande, bruxelloise et wallonne) gèrent l’aménagement du territoire, l’agriculture, l’énergie, la sécurité routière, le logement. S’ajoutent à cela dix provinces qui ont comme tâches de s’occuper de l’environnement, des travaux publics, des infrastructures sociales et culturelles. Ces mêmes provinces disposent d’arrondissements administratifs supplémentaires. Cela peut sembler beaucoup et on peut comparer ce système au mille-feuilles administratif français ; néanmoins, le territoire belge est dix-huit fois plus petit que la France.

Le gouvernement actuel, qui est en fin de mandat, a été surnommé « Vivaldi » en référence aux quatre saisons, sorte de clin d’œil aux quatre familles politiques qui le composent. Des coalitions sont en effet nécessaires et depuis les années 2000 elles ne se résument plus à 2 ou 3 partis, ce qui explique la longueur des négociations pour former un gouvernement. Il faut en effet trouver un consensus à la fois linguistique et politique, chose peu aisée quand il faut y inclure une droite rigide et une gauche populiste en y mêlant les partis écologistes et chrétiens.

Ce mélange improbable était alors la seule solution pour contourner les nationalistes flamands qui n’avaient pas obtenu une majorité suffisante pour assoir totalement leur pouvoir. La règle des 50 % par région linguistique n’est pas indispensable, mais fortement conseillée. Dans la formation d’un gouvernement, le rôle du roi est primordial : il délègue des formateurs, parfois démineurs tant la situation est tendue à certains endroits. Il donne les impulsions, rebat les cartes, mais évidemment il doit également composer avec les résultats obtenus. Si la Belgique a régulièrement frôlé la catastrophe une petite marge de manœuvre a suffi pour sortir de l’ornière, mais les perspectives tendent à prédire une désormais possible victoire de l’extrême droite en Flandre pour les élections de juin 2024.

Les sondages prédisent un vote flamand penchant très sensiblement à droite avec 28 % d’intentions de vote au Vlaams Belang, parti au programme sécessionniste dur, 20 % à la Nieuw-Vlaamse Alliantie (NVA), parti sécessionniste plus modéré dans ses actions. Les 52 % restants se partagent plus ou moins équitablement entre plusieurs partis traditionnels de divers bords. En Wallonie, par contre la balance penche très à gauche avec un parti socialiste qui recueille 25 % d’intentions de vote, le Parti travailliste (équivalent de la LFI en France) obtient quant à lui 18 % et le reste se partage entre écologistes et centre droit avec les libéraux en tête (20 % des votes).

En résumé les partis sécessionnistes flamands frôlent les 50 %.

Avant de pousser plus loin le raisonnement, signalons un événement qui pourrait sérieusement bousculer les prévisions. Une révélation récente rapporte que l’ancien leader du Vlaams Belang, Filip De Winter (actuel vice-président), qui a porté ce parti vers les sommets, était un cheval de Troie de Poutine dans la politique belge[10] (en plus d’avoir entretenu des liens étroits avec la Chine). Une information qui a consterné les Flamands. Comment ceux-ci vont-ils réagir ? Il est probable que le Vlaams Belang sera quelque peu sanctionné par l’électorat, mais les votes se reporteront sur la NVA. En nous basant sur le principe des vases communicants, le score cumulé des deux partis ne devrait pas beaucoup évoluer.

LES DIFFÉRENTS SCÉNARIOS POSSIBLES.

Précisons qu’en Belgique le vote est obligatoire, ce qui rend la marge d’erreur plus faible concernant les sondages.

1) Les indépendantistes obtiennent une majorité en Flandre. Est-ce cependant la fin de la Belgique ? Non, sans aucun doute, et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, les dirigeants des deux partis extrêmes se vouent une profonde rivalité : une entente reste possible, mais peu probable. Deuxièmement, échaudé par de précédentes élections, Bart De Wever a compris qu’une partie de ses électeurs sanctionnait les partis traditionnels à travers son vote, et que d’autres n’étaient pas pour la scission de la Belgique, mais pour une autonomie plus grande de la Flandre avec un confédéralisme à la Suisse. Même s’il n’a pas rangé définitivement le projet d’indépendance flamande, celui-ci est pour l’instant dans le placard. Enfin, comment réagiraient l’Union européenne et les instances internationales ? La reconnaissance d’un état flamand indépendant serait confrontée à des vetos : ne serait-ce pas mettre le doigt dans un engrenage infernal ? L’Écosse, la Catalogne, ainsi que le Pays de Galles, se sentiraient pousser des ailes au grand dam du Royaume-Uni et de l’Espagne. Sans une reconnaissance unanime, l’indépendance de la Flandre n’aurait aucun sens.

2) L’extrême droite flamande cartonne, mais sans atteindre la majorité, que craint la Belgique ? Le pays deviendrait ingouvernable. En effet, il faudrait que tous les partis flamands sans exception se joignent au gouvernement. Pour la Vivaldi, un accord n’avait pas été trouvé, mais, heureusement, les chiffres de l’élection précédente permettaient encore de dégager une mini majorité. Côté wallon, malgré des divergences de vues, les solutions sont multiples avec de la bonne volonté. Le plus délicat est d’établir un programme politique commun entre le sud très à gauche et le nord très à droite. En cas de blocage complet, il faudrait procéder à une nouvelle élection, une option qui fait peur, car bien souvent elle radicalise les électeurs…

3) Les sondages se trompent et, dans le meilleur cas, on retombe sur des résultats similaires à ceux de 2019. Une Vivaldi numéro deux est possible et probable. Bart De Wever et son parti NVA ont alerté sur le fait qu’un préaccord aurait été trouvé entre les différents partenaires, les postes ministériels auraient déjà été attribués. Une affirmation plus électoraliste que réelle, chaque parti ayant formellement démenti. L’option d’une Vivaldi 2 n’est pas automatique, car les scores des uns et des autres peuvent renverser le rapport de force interne au sein de cette coalition.

4) Un des deux partis extrémistes entre dans le gouvernement. Pour le Vlaams Belang, oublions tout de suite, aucun parti wallon ne se mettra à la table pour parler d’indépendance. Bart De Wever de la NVA, dans le passé, s’était essayé à entrer dans le gouvernement et à devenir Premier ministre. Son intransigeance dans les négociations l’en avait écarté. Il est quasiment impossible de se passer de la gauche en Wallonie. Toutefois le nationaliste pourrait mettre beaucoup d’eau dans son vin s’il obtient en échange le confédéralisme de la Belgique. Il s’agirait alors d’un scénario surprise…

QUELLES CONSÉQUENCES EN CAS DE BELGIQUE ÉCLATÉE ?

Que deviendrait la région de Bruxelles, si cruciale pour les instances internationales ? Intégrerait-elle un des deux pays ?

Difficile de trancher : Bruxelles se trouve en territoire flamand, mais sa population francophone dépasse les 80 %.

Serait-elle la capitale des deux nouveaux pays ? Peu évident en matière d’organisation et ce partage ne pourrait qu’entraîner de nouveaux conflits.

Deviendrait-elle elle-même indépendante ? Bruxelles est endettée, elle n’aurait pas les reins assez solides, sans oublier qu’elle deviendrait un état à majorité musulmane, ce qui aurait pour conséquences d’effrayer les électeurs d’autres confessions.

– La Wallonie indépendante ou rattachée à un autre pays ?

Sa situation économique est délicate, la Flandre la qualifie de boulet pour le pays. Les francophones ont davantage foi en la Belgique et en son Roi que les néerlandophones. Beaucoup préféreraient rester la Belgique, même amputée, que devenir la Wallonie, mais jamais les indépendantistes n’accepteraient cette revendication.

Un rattachement à la France pourrait être envisagé. Devenir un land allemand est aussi une option citée, mais ce serait une première étant donné que la langue majoritaire est la langue française. De plus quel intérêt auraient ces deux pays à récupérer un territoire désorganisé avec une population aux votes instables ? Hormis intégrer Bruxelles et ses institutions internationales, chose à laquelle la Flandre ferait barrage, cette hypothèse semble improbable.

Tout est compliqué dans cette Belgique, le montage complexe qui a fait suite à la révolution de 1830 a longtemps fait illusion, mais les différences ont fini par ressurgir. Le statu quo avec un confédéralisme semble être l’option la plus sage, mais à l’avenir incertain.

Fabrice Michel & Gaspard Rambel

  1. https://www.lhistoire.fr/les-gaulois-de-belgique
  2. https://www.universalis.fr/encyclopedie/ambiorix-roi-des-eburons/
  3. https://www.rtbf.be/article/la-muette-de-portici-histoires-de-revolutions-11033475
  4. https://www.lejdd.fr/international/vladimir-poutine-affirme-que-la-belgique-est-apparue-sur-la-carte-grace-la-russie-142799
  5. https://www.herodote.net/De_Paul_Ier_a_Nicolas_Ier_l_Occident_inaccessible-synthese-3143-183.php
  6. https://www.rtbf.be/article/lhistoire-continue-quand-le-sang-coulait-dans-les-fourons-10838339
  7. https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2002-34-page-5.htm
  8. https://www.liberation.fr/planete/2020/10/01/belgique-un-gouvernement-apres-quasiment-deux-ans-de-crise_1801047/
  9. https://www.touteleurope.eu/pays/belgique/
  10. https://www.lalibre.be/belgique/politique-belge/2024/03/27/apres-ses-liens-avec-la-chine-filip-dewinter-en-aurait-il-eu-avec-la-russie-il-a-donne-une-interview-a-un-site-dirige-par-un-proche-de-poutine-D54DWWCUBZCKPDKPHNTRUBGONQ/