​​L’insouciance en Urbanisme

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Voici quelques secrets de l’urbanisme pour le lecteur en dehors de la confidence. Il existe bien une forme d’insouciance en urbanisme, une forme de lecture moins sérieuse, plus éphémère de ce que l’on peut attendre de cette matière. Un souci, c’est une préoccupation, une inquiétude. Un insouciant ne s’en préoccupe pas, il vit dans une légèreté, blâmable ou non. L’urbanisme étant une matière destinée à réglementer les constructions et installations ainsi que l’utilisation des sols, on pourrait penser que rien ne doit être laissé au hasard. Du point de vue du demandeur de permis de construire et autres autorisations d’urbanisme, il en va de même : bâtir son chez-soi ou son commerce est source de bien des préoccupations.

Comme tout a un prix, le prix de l’insouciance est la précarité. En contrepartie de la légèreté souhaitée, la précarité pointe son nez. Elle prend plusieurs formes en urbanisme, dont deux principales seront dévoilées. La première se matérialise sous la forme des autorisations (ou contrats) d’occupation temporaire du domaine public ; la deuxième prend la forme des permis de construire précaires ou temporaires.

La précarité des autorisations d’occupation temporaire

Fondamentalement, une autorisation d’occupation temporaire du domaine public (AOT) est une occupation privative de ce dernier. Ce droit peut être obtenu auprès de l’autorité compétente pour le délivrer en vue d’une utilisation particulière de cet espace, ce qui s’insère donc dans la logique urbanistique. Nous ne parlerons pas de ces AOT qui permettent d’occuper une place de stationnement toute une journée en vue de déménager. Nous ciblerons plutôt celles obtenues en vue de la réalisation d’installations voire de constructions.

Tout ce qui sera réalisé sur la surface occupée sera précaire : selon le Code général de la propriété des personnes publiques, cette autorisation « présente un caractère précaire et révocable » 1. Pourquoi ? Eh bien parce que les propriétés publiques bénéficient d’une protection très puissante : le principe d’inaliénabilité des biens du domaine public 2. En d’autres termes, nul ne peut se prévaloir d’un droit à demeurer autant que bon lui semble sur ces lieux. Pire encore, la personne publique (commune, département, État…) peut révoquer son droit à n’importe quel moment, sans raison, sans indemnités (par principe) et sans préavis. Toutefois, vos maraîchers et autres commerçants chez qui vous aimez vous fournir au marché ne sont pas pour autant à plaindre. Ils sont de simples locataires, des itinérants pour qui l’installation n’engendre que peu de frais. Les formalités sont simples, la réglementation peu prescriptive et contraignante. L’insouciance est donc permise peu ou prou étant donné que l’espace public n’est pas une denrée rare.

Vous l’avez compris, on peut vivre insouciant avec intelligence. Une bonne organisation de son baluchon est alors primordiale. La richesse de l’insouciant se situe certes dans son choix de vie, mais tout autant dans sa capacité à garder son itinérance performante.

Il n’est pas méconnu du lecteur que le diable se cache dans les détails. Tout bon Français sait que, le temps passant, ses gouvernants grignotent de plus en plus de droits et de libertés. Aussi tout insouciant est-il tôt ou tard ramené à la réalité de ses obligations. Les autorisations reçues sont marquées par un encadrement de plus en plus fort. Les collectivités publiques asservissent ainsi, d’une façon toujours plus stricte, les conditions d’obtention de ces AOT. Il est parfaitement légal d’imposer à notre insouciant des limites tarifaires des produits qu’il vend, on peut encore lui imposer la vente de certains produits plutôt que d’autres ou encore des horaires d’ouverture fixés sur le document contractuel ou pseudo-contractuel. La liberté a un prix, prix qui parfois se chiffre en restrictions de libertés. Pour cette raison et bien d’autres, un entrepreneur pourra choisir de s’orienter vers des constructions précaires.

Une précarité des constructions

Un permis de construire a fondamentalement cela de différent qu’il n’est pas un outil vecteur de location d’un bien. Une AOT est un acte permettant une mise à disposition, payante ou non, d’un bien d’une personne publique. En revanche, le permis de construire est délivré bien souvent à celui qui est propriétaire de la parcelle sur laquelle constructions et installations trouveront leur siège. Il n’est cependant pas intuitif de penser que cela ne serait qu’éphémère. Pourquoi s’évertuer à bâtir si c’est pour démolir ? Un comportement puéril ? Un comportement insouciant ? Cela n’est pas exclu, et tant mieux ! Nous ne pouvons que saluer une telle flexibilité de notre droit. Une activité éphémère a besoin d’outils éphémères.

En premier lieu, l’insouciant peut être dispensé de toute formalité si sa construction doit être démolie dans les 3 mois 3. Cette durée peut même être portée à plusieurs années lorsque la construction touche à des domaines liés à l’intérêt général (social, scolaire, hébergement d’urgence…). Il ne faut toutefois pas se méprendre, l’usage doit également être de type « temporaire ». Ainsi, même si la construction était démontable, il a été jugé qu’un projet tendant à construire un restaurant de plage de 170 m2 et d’une terrasse de 550 m2 ne pouvait être dispensé de toutes formalités 4. L’essence même de ces règles est limpide pour le juge qui ne laisse pas passer de si gros abus.

Mais il serait alors pertinent d’envisager un permis de construire précaire. Celui-ci ne peut être délivré que si le pétitionnaire (le demandeur) précise la date à laquelle la construction devra être démolie. Plus encore, le dispositif permet l’autorisation de la construction alors même qu’elle serait illégale au regard de la réglementation urbanistique 5. Autant dire que notre insouciant doit avoir de bons amis pour se faire autoriser de tels écarts. Si lui n’est pas très responsable, le maire qui délivrera le permis, lui, l’est. Car, in fine, le juge sanctionnera toujours des abus au sein de sa commune des habitations ne peuvent bénéficier de ces règles, car fondamentalement un habitat ne doit pas être précaire en droit français. Mais quid de l’hôtellerie ou de l’évènementiel ? Eh bien, la ville de Paris a délivré il y a quelques années de cela un permis précaire… de 3 ans, pour un chapiteau du cirque tzigane Romanes, dans le square Parodi, le tout agrémenté de 10 caravanes, de préfabriqués à usage de sanitaires et de clôtures. Tant en première instance qu’en appel, le permis a été annulé. En effet, il n’existait pas une nécessité suffisante pour délivrer un tel permis. Cette nécessité doit en premier lieu être caractérisée par des motifs d’ordre économique, social, culturel ou d’aménagement. Il ne fait pas de doute qu’un cirque pouvait remplir ces conditions. Mais, en second lieu, les juges estiment que ces permis doivent manifester la volonté spécifique de la commune de porter ce projet politique d’aménagement, d’urbanisme, de développement économique, social ou culturel 6. Ces conditions ne sont absolument pas fixées par les textes, les juges font œuvre créatrice.

Vivre dans l’insouciance, en ce qui concerne l’urbanisme, est donc une voie semée d’embûches pour le demandeur d’autorisations d’urbanismes. L’ambitieux sera vite confronté à la réalité d’un système solidement bâti sur l’idée de projets stables, réfléchis et soucieux des différentes politiques publiques.

Cassandro Cancellara

1. CGPPP, art. L. 2122-3

2. CGPPP, art. L. 3111-1

3. Code de l’urbanisme, art. R. 421-5

4. CE, ord. 18 juillet 2012, SARL Tom Tea et Tomaselli, n° 360789.

5. Code de l’urbanisme, art. L. 433- 1

6. CAA Paris, 15 mars 2018, n° 16PA02672.