Le 4 octobre dernier, à la surprise générale, les amendements relatifs à la fin de l’anonymat numérique ont été retirés du projet de loi visant à sécuriser et à renforcer l’espace numérique (SREN)[1].
Si le rapporteur Renaissance Paul Midy, à la suite d’une enquête interministérielle menée par Bruno Le Maire et Jean-Noël Barrot, souhaitait réformer l’espace de non-droit digital qu’est devenu Internet, l’hostilité de l’opposition eut raison de la ferveur du député qui décida du retrait des amendements controversés pour protéger ceux relatifs à l’identité numérique.
Il faut dire que cette dernière constitue une avancée majeure dans le renforcement de la sécurité numérique puisqu’elle permet l’identification de l’ensemble des utilisateurs français d’ici 2030.
Après de nombreuses pérégrinations, notamment l’hostilité de l’Europe et de l’opposition envers les mesures relatives à l’anonymat, sénateurs et parlementaires ont finalement trouvé un accord en commission mixte parlementaire (CMP) le 26 mars dernier. Le texte, examiné par le Sénat le 2 avril en séance publique, puis à l’Assemblée nationale le 10 avril, a finalement été adopté.
En ligne de mire du SREN : la fin de l’anonymat numérique, la sécurisation des données personnelles, la lutte contre le cyberharcèlement, la désinformation, les arnaques en ligne, mais aussi les discours haineux.
Chaos 2.0
Les réseaux sociaux font partie du quotidien de plus de 80 % de la population française, soit 60 millions de Français. Il est donc inconcevable que des comportements répréhensibles dans la vie réelle demeurent impunis au sein de l’espace digital.
De plus, les utilisateurs sont de plus en plus jeunes. Il n’est pas rare de trouver des enfants de dix ans sur TikTok, en témoigne l’engouement dit des « Sephorettes » où des petites filles se filment en train de réaliser des soins de peau pour adultes. Des enfants de plus en plus de jeunes interagissent tous les jours via messageries instantanées et commentaires publics. Ne peut-on pas y voir la porte ouverte à de dangereuses dérives ?
Au sein de cet espace, l’anonymat confère un sentiment de toute-puissance entremêlé d’impunité qui a, peu à peu, transformé la convivialité des débuts en cour des Miracles digitale où cohabitent enfants et délinquants. Arnaques, cyberharcèlement, homophobie, handiphobie, sexisme, antisémitisme, désinformation, dérives sectaires gangrènent le territoire numérique, touchant autant le quidam que le sommet de l’État.
Autrefois, les personnes malintentionnées devaient découper des journaux pour se transformer en corbeaux. Désormais, elles n’ont plus qu’à pianoter depuis le strapontin du métro. Il n’a jamais été aussi aisé de véhiculer des discours haineux, de désinformer en masse ou encore de se rendre coupable de cyberharcèlement.
Protégés par l’écran de leurs smartphones, nombreux sont ceux à croire en la plus totale impunité.
Comme l’évoque Antoine Bayet, directeur de l’INA, mais aussi journaliste et écrivain, dans son ouvrage Voyage au pays de la Dark Information[2], certaines personnalités publiques peuvent franchir le point de non-retour en relayant non seulement des propos haineux vis-à-vis de l’autorité, mais encore des discours antisémites.
Dans le projet de loi SREN, outrages, menaces et incitation à la haine contre les élus de la République constituent un nouveau champ d’infraction, rejoignant la propagande anti-avortement et les dérives sectaires, contre lesquelles des mesures ont déjà été adoptées ; on ne peut que saluer le durcissement de ces mesures.
Les réseaux sociaux, nouvel espace de non-droit 2.0 où les anciennes gloires de la télé-réalité se reconvertissent en sous-produits de Torquemada et où la nouvelle Miss France se fait lyncher par la ménagère à cause de sa coupe de cheveux.
En effet, rappelons-nous qu’au lendemain de son sacre, la jeune Ève Gilles a subi une vague de harcèlement aux relents sexistes. Les uns s’acharnant contre la finesse de sa silhouette ; les autres multipliant les propos transphobes, allant jusqu’à mettre en doute sa féminité sous prétexte qu’elle arbore la coupe à la garçonne.
Pour pallier cette déferlante d’acharnement, la jeune fille devra supprimer de ses réseaux sociaux les photos officielles où elle apparaît en bikini, photos devenues le terrain de jeux favori de ces gargotiers plus communément appelés haters. Preuve que la frontière entre les médias sociaux et la réalité est extrêmement mince, Ève Gilles a dû annuler des interviews et reporter ses sorties officielles.
Dans la présente proposition, les sénateurs prévoient la création d’un délit pour outrage sexiste, spécifiant celui de « l’outrage en ligne » dont l’utilisation de support digital constituerait un motif d’aggravation.
Si le chemin d’une vie numérique où régneraient bienveillance et harmonie est encore hors de portée, ces mesures aux allures de panneaux de signalisation ne peuvent qu’apporter de précieux jalons à l’ensemble de la population.
Un durcissement des sanctions
Le projet de loi SREN intervient dans un contexte digital fort délétère, qui est progressivement devenu l’aire de jeux des personnes les moins scrupuleuses.
Aussi, les sanctions contre le cyberharcèlement et la haine en ligne seront-elles plus fermes. Un bannissement définitif pourra être prononcé vis-à-vis du délinquant, assorti d’une peine de prison ferme. Sans compter une amende de 75 000 euros d’amende contre le réseau social qui aurait abrité l’infraction.
Proxénétisme, pédopornographie, racolage, et différentes escroqueries (crédits cloud, crypto, etc.) sont également dans le viseur du projet de loi. Et pour cause : la traite des femmes, l’exploitation sexuelle cachée sous l’égide de « soirées promoteurs », le rabattage d’adeptes de secte et la radicalisation active pour différents bords extrémistes pullulent sur les réseaux sociaux, en faisant un lieu particulièrement dangereux pour les plus jeunes. Lesquels sont déjà exposés aux méandres de la pornographie en libre-service, que la loi du 30 juillet 2020, visant à ne plus référencer les sites où la limite d’âge n’est pas observée, n’a pas suffi à régler.
Aussi, l’Assemblée nationale propose-t-elle d’impliquer à nouveau l’Autorité de régulation de la commission audiovisuelle et numérique (Arcom) pour compléter ce qui a déjà été amorcé et ainsi protéger les plus jeunes. Un autre amendement, à l’initiative des sénateurs, continue de renforcer les mesures en accentuant les campagnes de prévention en imposant aux sites pornographiques l’affichage de messages de sensibilisation. À noter que les plates-formes privées demeurent un « no man’s land » de la pornographie et de l’exploitation sexuelle au sujet desquelles il est urgent de légiférer.
Quoi qu’il en soit, le 10 avril[3] dernier a marqué un tournant décisif dans la vie numérique française. Si la construction d’un espace digital entièrement sécurisé est utopique, s’attaquer aux lacunes qui ont transformé Internet en une zone de non-droit où rôde une nouvelle génération de délinquants, tous sexes confondus, se révèle non seulement primordial, mais surtout des plus urgents.
Mélanie Gaudry
- https://www.vie-publique.fr/loi/289345-projet-de-loi-sren-securiser-et-reguler-lespace-numerique ↑
- https://www.decitre.fr/livres/voyage-au-pays-de-la-dark-information-9782221258712.html ↑
- https://www.august-debouzy.com/fr/blog/2072-le-projet-de-loi-visant-a-securiser-lespace-numerique-sren-definitivement-adopte ↑