Canada : Interrogations et rapprochement avec l’Union européenne

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À l’instar du Japon, fort de sa valeur ajoutée dans le domaine de l’intelligence artificielle, et de l’Australie, qui bénéficie d’une économie prospère depuis plusieurs décennies, le Canada semble vouloir également opérer un rapprochement avec le Vieux Continent.
C’est dans cette optique que le premier ministre, Mark Carney, a indiqué que le Canada est “le plus européen des pays non européens”[1] sans oublier d’ajouter que “la vieille relation (…) avec les États-Unis, basée sur une intégration profonde de (leurs) économies et une coopération étroite en matière de sécurité et de défense est terminée”[2]. Comme un passage de témoin entre l’ancienne architecture de défense du monde, issue du traité de Washington, avec la nouvelle, en cours de construction.
Ces récentes déclarations semblent confirmer la thèse selon laquelle, pour certains, l’OTAN ne serait qu’une caisse d’enregistrement fantôme des atteintes flagrantes au droit international ainsi qu’aux droits de l’Homme. L’Ukraine en est un parfait exemple et a permis d’agir comme bélier afin d’accélérer cette prise de conscience. L’article 5 selon lequel “une attaque armée (…) survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera(it) considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties (…)” a montré ses limites et cet arsenal juridique semble désormais s’être retourné contre ses créateurs, si l’on en croit Bruno Kahl[3], chef des renseignements allemands. Celui-ci souligne le fait que Poutine, par le biais de l’invasion en Ukraine, teste l’efficacité de ce dispositif.
Depuis, de nombreux observateurs internationaux ont pu en constater les limites. L’ensemble des crimes de guerre commis par le Kremlin reste, à ce jour, impuni. La dernière attaque ayant visé des civils dans le centre-ville de Sumy, le dimanche 13 avril, nous le prouve encore.
Les provocations et menaces du nouveau locataire de la Maison-Blanche ne sont pas étrangères à cette reprise bilatérale des pourparlers diplomatiques entre Ottawa et Bruxelles.
Le Canada assiste, comme nous, à l’inaction de cette institution pourtant chargée de garantir le respect du droit international, en même temps qu’elle voit son territoire être menacé par Washington.

À défaut de construire un mur afin de couper court aux velléités de son voisin du sud, Ottawa cherche désormais de nouvelles alliances fiables[4].

La remise en question de la légitimité de l’OTAN

Créé en 1949 à l’issue de la signature par douze pays du traité de Washington, l’OTAN a été bâti avec pour mission première de s’ériger en bouclier face à l’expansion du modèle social et sociétal issu de l’Union soviétique. Cette officine internationale est le résultat, au niveau institutionnel, de la doctrine de l’endiguement, théorisé par Spykman et Truman. Elle a succédé à la Société des Nations qui s’est révélée incapable de prévenir la Seconde guerre mondiale.

Cette formule a fonctionné jusqu’à la chute du rideau de fer et s’est même imposée par la suite, faute de contre-puissance capable d’apporter un modèle plus fonctionnel que le couple démocratie et société de marchés.
Une première alerte cependant, s’est faite ressentir en 2008, après la crise des subprimes, la fin de l’ère Bush et le tournant du sommet du G8 en juillet de la même année[5]. Celui-ci a offert à Poutine, par la voix de Dimitri Medvedev, une tribune afin d’indiquer qu’il refusait un système mondial unipolaire. Il envahira un mois plus tard la Géorgie en prétextant, lors du sommet de Paris du 9 septembre 2008, effectuer une “mission de pacification”.
Sur un plan juridique, on peut dire que L’OTAN trouve sa légitimé dans l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Ce dernier implique le droit à la légitime défense individuelle et collective. Néanmoins, après la chute du bloc de l’Est, l’organisation a perdurée, alors que son objet principal était justement atteint : mettre fin au régime soviétique et protéger l’ordre mondiale occidental issu du traité de Washington. Ce qui devait logiquement impliquer sa dissolution.
Au contraire, l’OTAN s’est muni d’un mille-feuilles de dispositions juridiques afin d’afficher sa transition d’un organisme de défense à une organisation couteau suisse capable de prévenir les guerres, d’en déclencher sans gardes fou, lorsque les intérêts souverains des nations occidentales étaient en jeu. Entre temps, le nombre de pays ayant ratifié le traité de Washington n’a fait qu’augmenter, ce qui a permis à l’OTAN de s’élargir de manières exponentielle jusqu’à arriver à un point où certains se questionnent sur sa réelle efficacité.

Quand est-il de l’application de l’article 5 cité en introduction ? Peut-on l’appliquer de la même façon à des États dont les intérêts sont sensiblement différent ? Dans le cas contraire comment doivent désormais agir ces pays ?
Ce sont les questions qui ont été récemment posé au Canada.
Malgré le sommet de Madrid qui s’est tenu en juin 2022, en réaction à l’invasion de l’Ukraine, censé établir de nouvelles possibilités afin d’activer l’article 5, on constate, encore en 2025, que l’organisation est bien à la peine en matière de respect de l’application du droit international.
Et comment pourrait-il en être autrement ? Le président du pays où siège l’OTAN menace directement la souveraineté de ses voisins, jusqu’à annoncer que le Canada serait bientôt le 51 ème État des États-Unis.
Si l’on ajoute à cela le mépris affiché de l’administration Trump[6] pour cette organisation créée en 1949, et pour le droit international en général, difficile pour le pays à la fleur d’érable de passer par celle-ci afin de préserver son intégrité. Pire encore, Ottawa semble bloquer dans ses anciennes alliances, alors qu’elle souhaite en créer de nouvelles.

De nouveaux pôles d’alliances à l’initiative des États afin de pallier aux lacunes des organisations internationales

L’OTAN a su afficher son efficacité en termes de missions conjointes avec de petits groupes de pays alliés, comme c’est le cas pour l’opération UNIFIER dont le but est de former des militaires ukrainiens par le biais d’instructeurs canadiens sur le sol européen. Il semble néanmoins qu’elle soit inopérante lorsqu’il s’agit de prendre des décisions d’envergure, comme le voudrait encore une fois l’article 5.
C’est donc dans ce contexte que le Canada a opéré sa mue en 2025, en même temps qu’il a sifflé la fin de l’ère Trudeau. Alors que les sondages donnaient le parti canadien conservateur (PCC) en tête pour les élections législatives du 28 avril 2025, l’arrivée au pouvoir de Trump, qui adopte le même narratif que le chef de file du PCC (immigration, protectionnisme, complotisme, écologie) a modifié la donne[7]. En effet, cela a permis au parti canadien libéral (PCL) de reprendre la main, les canadiens ne souhaitant pas d’une alliance PCC et Trump. Cela a également permis de restaurer le dialogue avec l’Union européenne, jusqu’au point d’évoquer son éventuelle intégration.
Cette initiative paraît légitime quand on sait que le français est la deuxième langue du pays, que le Canada possède une frontière commune avec Copenhague, car elle partage les îles Hans avec le Danemark, et que ses valeurs se sont souvent construites en opposition à celles de son voisin du sud.
Le deuxième pays le plus vaste du monde, en termes de superficie, 15 634 410 m2, n’a donc pas tardé à se protéger contre la volonté de Washington de profiter de ses régions riches en terres cultivables, en minéraux rares et en ressources naturelles. Ici on troque volontiers le costume pour la chemise de trappeur, des sociétés innovantes concurrences la Silicon Valley et voient de meilleures débouchées pour leurs produits grâce au traité CETA[8], tandis que la langue de Molière est autant respectée que celle de Shakespeare. Tout cela a de quoi aiguiser l’appétit du locataire de la Maison-Blanche qui doit faire face à la chute du dollar, à la baisse du prix du pétrole, à la gestion du stock de voiture Tesla que les canadiens déposent en masse à la frontière, ainsi qu’aux demandes en urgence de scientifiques qui cherchent l’asile dans d’autres pays. L’Elysée les a d’ailleurs exhorté à venir en France le 18 avril 2025.

Les affinités entre le Canada et l’Union européenne sont nombreuses, ce que semble traduire un sondage paru le 10 mars 2025, d’après celui-ci 46%[9] des canadiens seraient favorables à ce que leur pays rejoigne l’UE. Il faut également rappeler que l’UE est le second partenaire commerciale du Canada, que ce pays possède son indépendance en matière énergétique, de gaz, et de minéraux rares.

Tout cela semble augurer des jours meilleurs et présage d’une probable alliance, à moyen termes, entre Ottawa et Bruxelles. D’autres pays ou zones géographiques pourraient s’en inspirer en fonction de leurs intérêts et liens historiques. On peut comparer cette alliance à celle qui s’est opérée au sein de l’UE à ses débuts. L’accord sur le charbon et l’acier[10] a précédé la ratification du traité de Rome en 1957. Tout comme l’alliance économique entre les différents États qui composent l’actuelle Allemagne avaient précédé son unification grâce à Bismarck, au XIX ème siècle[11]. Sans doute que l’accord CETA n’est qu’un prélude à une union plus importante avec l’Atlantique Nord, le voisin du sud s’étant lui même exclu de la partie, préférant agiter le spectre d’un possible scénario à la Yalta entre Washington, Pékin et Moscou, si l’on en croit la complaisance de Trump envers Poutine.
C’est donc pour prévenir et contrecarrer ce scénario qu’un rapprochement, voire une intégration dans l’Union européenne du Canada, permettrait de déterminer de nouvelles bases de coopération en matière de défenses, de politiques agricoles, et de mesures économiques capables de concurrencer les “nouveaux empires”.
En ayant cherché à être un déstabilisateur pour son voisin du nord, Trump n’aura été que le marche-pieds du renforcement de l’entente entre Ottawa et Bruxelles, entente déjà initiée par la ratification du traité CETA. En ce sens, et de mon point de vue, son premier bilan est plutôt positif, à ses dépens.
D’autres pays mentionnés en introduction suivent le même chemin que le Canada dans son rapprochement avec l’Union européenne : le Japon, l’Australie, la Corée du Sud. Il faudra que chacun d’eux se concentrent sur ce qui nous rassemble afin que la paix puisse prévaloir, sans avoir à attendre les décisions d’une institution moribonde, vieille de presque un siècle, qui se pare des oripeaux de la légitimité internationale afin de continuer d’exister. La même qui ne répond plus aux besoins présents en matière de sauvegarde du droit international, ainsi que de protection de la souveraineté des États.
Gaspard Rambel
  1. https://www.courrierinternational.com/article/rapprochement-carney-a-paris-et-a-londres-pour-une-visite-symbolique-et-des-piques-a-donald-trump_228859
  2. https://www.lemonde.fr/international/article/2025/03/27/la-cooperation-etroite-avec-les-etats-unis-est-terminee-declare-le-premier-ministre-canadien_6586847_3210.html
  3. https://ukranews.com/en/news/1069022-russia-will-attack-europe-earlier-if-war-in-ukraine-ends-by-2030-german-intelligence
  4. https://www.radiofrance.fr/franceinfo/podcasts/d-un-monde-a-l-autre/face-a-la-menace-trumpiste-le-canada-en-quete-d-allies-en-europe-3560489
  5. https://www.robert-schuman.eu/questions-d-europe/0109-le-sommet-ue-ukraine-du-9-septembre-2008-vers-un-tournant-historique-et-strategique
  6. https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/12/donald-trump-suscite-l-effroi-chez-les-allies-en-mettant-en-cause-le-principe-de-solidarite-au-sein-de-l-otan_6216070_3210.html
  7. https://www.lexpress.fr/monde/les-menaces-de-donald-trump-rebattent-les-cartes-politiques-au-canada-5FEOT7LHPNH55AYNK7HFCKSWJA/?cmp_redirect=true
  8. https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/qu-est-ce-que-le-ceta/
  9. https://www.euractiv.fr/section/international/news/pres-de-la-moitie-des-canadiens-sont-favorables-a-ladhesion-a-lue-selon-un-sondage/
  10. https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/archives-diplomatiques/offre-culturelle/expositions/expositions-dossiers-en-ligne/naissance-de-l-europe-le-traite-instituant-la-communaute-europeenne-du-charbon/ii-la-communaute-europeenne-du-charbon-et-de-l-acier/#:~:text=de%20l’INA.-,Le%20Trait%C3%A9%20du%2018%20avril%201951,l’Acier%20(CECA).
  11. https://ehne.fr/fr/eduscol/premi%C3%A8re-g%C3%A9n%C3%A9rale/la-france-dans-l%E2%80%99europe-des-nationalit%C3%A9s-politique-et-soci%C3%A9t%C3%A9-1848-1871/la-france-et-la-construction-de-nouveaux-%C3%A9tats-par-la-guerre-et-la-diplomatie/1871-bismarck-et-la-proclamation-du-reich