Jacques Delors nous a quittés le 28 décembre 2023 : l’une des figures de la construction européenne aura reçu comme linceul la guerre en Ukraine, commencée avec l’invasion russe du 22 février 2022, alors que le Brexit de 2015 l’avait déjà bouleversé.
Il voulait une Europe des Nations qui ne se travestirait pas face aux intérêts privés. Il voyait l’Union européenne comme une grande famille, sorte de super-État, où chacun serait libre de développer sa propre démocratie en coordonnant l’intérêt des peuples à celui de l’Europe.
Cette Union sociale et démocrate, il a pu la réaliser en créant le marché unique en 1993. Celui-ci garantit que les biens, les services, les personnes ainsi que les capitaux puissent circuler librement sur tout le territoire de l’Union : c’est ce que l’on nomme les « quatre libertés ». C’était une première étape avant de participer à la mise en place de l’euro comme monnaie officielle pour tous les États membres, exception faite pour le Royaume-Uni.
Jacques Delors a également joué un rôle crucial lors de la réunification de l’Allemagne de l’Est et de l’Ouest — des tensions existaient alors entre la France et l’Allemagne, les deux piliers de l’Europe. On se souvient de la poignée de main entre François Mitterrand et Helmut Kohl en 1984, qui était déjà un pas en avant vers la réconciliation des deux États. Jacques Delors venait à ce moment-là de terminer son mandat en tant que ministre de l’Économie et des Finances. Dernièrement, en 2021, c’est face au risque de dislocation de cette Union qu’il a suggéré à Emmanuel Macron et Angela Merkel de faire en sorte de maintenir cette unité.
En tant que créateur du programme Erasmus, Jacques Delors mérite son titre de « Père de l’Europe ». En effet, à ce jour, le programme a permis à plus d’un million d’étudiants de découvrir ce beau continent, d’apprendre à connaître l’autre, sa langue, et parfois même des couples ont pu naître grâce à ce précieux programme.
Bien qu’il ait été élu député européen en 1981, ministre de l’Économie et des Finances jusqu’en 1984, maire de Clichy et président de la Commission européenne jusqu’en 1995, date de son dernier mandat, il n’a jamais cédé aux sirènes du pouvoir présidentiel. En effet, lorsqu’en 1995 on le voyait se présenter face à Jacques Chirac, à la place d’Édouard Balladur, il a préféré rester un homme de l’ombre, son action étant plus efficace en étant libre de toute charge venant de l’Élysée.
Le 19 janvier 1995, devant le parlement de Strasbourg, il avait prononcé un discours fort, en faveur de l’unité des peuples européens et de la paix. Ses paroles résonnent encore plus avec ce qui se passe en Europe de l’Est, où la diplomatie a plié, pour un temps, face à la barbarie.
Son immense action politique n’a duré que de son vivant, mais son impact sur le monde demeure éternel.